Hier, en sortant du labo, je suis allée "tracter" au salon du livre (Claude Wittezaële, grand défenseur de la langue française, m'aurait dit: "on ne dit pas un tract on dit un placard"): suis-je donc allée placarder porte de Versailles? Au lieu de coller un paquet de mes petits prospectus "Dînez avec Proust" sur le présentoir à prospectus, j'ai pensé à John Houseman, un acteur disparu qui m'avait fait grand effet lors de mon installation en Amérique, dans les années 80: il faisait une pub pour Smith Barney et l'une de ses phrases canon était "One client at a time", je ne l'ai jamais oubliée; toujours est-il que j'ai alpagué un par un une centaine de badauds qui s'arrêtaient dans les stands les plus littéraires, avec la question "Voulez-vous dîner avec Proust"? A ma surprise, je n'ai pas eu beaucoup de réponses agacées ou méprisantes (juste une qui a fait mouche, proférée par un type du genre bon chic de saint germain des prés: "Proust, la honte de la littérature française", derrière quoi j'ai senti beaucoup d'ironie). Certains souriaient d'emblée, surtout quand ils voyaient sur mon petit placard que le "Dînez avec Proust" se jouait au Café de la Mairie, place Saint-Sulpice! D'autres, je dirais la majorité, offraient à mon regard une physionomie fermée peu aimable, comme les Français savent vous en composer une en un éclair, du genre "Comment, mais nous n'avons pas été présentés!", qui se transformait aussi promptement, après mon exposé rapide, en un magnifique sourire, ornant un: "Quelle bonne idée!" J'adore les Français, toujours prêts à vous surprendre....
extrait du prochain de ces dîners (le mercredi 23 mars) A table à Combray! voici Saint-Simon, un as du mépris:
SWANN (étonné) : Je ne dis pas non . Ce que je reproche aux journaux, c'est de nous faire faire attention tous les jours à des choses insignifiantes tandis que nous lisons trois ou quatre fois dans notre vie les livres où il y a des choses essentielles. Du moment que nous déchirons fiévreusement chaque matin la bande du journal, alors on devrait changer les choses et mettre dans le journal, moi je ne sais pas, les... Pensées de Pascal ! (détachant ce mot d'un ton d'emphase ironique pour ne pas avoir l'air pédant). Et c'est dans le volume doré sur tranches que nous n'ouvrons qu'une fois tous les dix ans, que nous lirions que la reine de Grèce est allée à Cannes ou que la princesse de Léon a donné un bal costumé. Comme cela la juste proportion serait rétablie. (ironiquement) Nous avons une bien belle conversation, je ne sais pas pourquoi nous abordons ces « sommets », (et se tournant vers mon grand-père) : Donc Saint-Simon raconte que Maulevrier avait eu l'audace de tendre la main à ses fils. Vous savez, c'est ce Maulevrier dont il dit : « Jamais je ne vis dans cette épaisse bouteille que de l'humeur, de la grossièreté et des sottises. »
FLORA (vivement) : Épaisses ou non, je connais des bouteilles où il y a tout autre chose.
CÉLINE : (elle rit)
SWANN (interloqué) : « Je ne sais si ce fut ignorance ou panneau, écrit Saint-Simon, il voulut donner la main à mes enfants. Je m'en aperçus assez tôt pour l'en empêcher. »
LE GRAND-PÈRE : « Ignorance ou panneau », merveilleux !
CÉLINE : Comment ? vous admirez cela ? Eh bien ! c'est du joli ! Mais qu'est-ce que cela peut vouloir dire ; est-ce qu'un homme n'est pas autant qu'un autre ? Qu'est-ce que cela peut faire qu'il soit duc ou cocher s'il a de l'intelligence et du cœur ? Il avait une belle manière d'élever ses enfants, votre Saint-Simon, s'il ne leur disait pas de donner la main à tous les honnêtes gens. Mais c'est abominable, tout simplement. Et vous osez citer cela ?
LE GRAND-PÈRE (à voix basse à la mère) : Rappelle-moi donc le vers que tu m'as appris et qui me soulage tant dans ces moments-là. Ah ! oui : « Seigneur, que de vertus vous nous faites haïr ! » Ah ! comme c'est bien ! extrait de Du côté de chez Swann
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For those who want to dine with Proust in English, book Monday, May 9, we'll play with Pr William Carter, a well known American Proustian, who will direct at least 12 visiting fellow Americans! It will be "Dinner at La Raspeliere", at the Café de la Mairie, 2nd floor, place Saint-Sulpice.
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Yesterday, just out of my pharmaceutical company office, I went to the Paris book convention to advertize for "Dînez avec Proust" Instead of throwing a pack of tracts on the tracts display rack, at the exhibit hall's entrance, I thought of John Houseman, a deceased actor who had impressed me a lot in the eighties, when I arrived in America: during a TV add for Smith Barney saying: "One client at a time". I never forgot that phrase; and used that piece of advice, approaching my targets one by one, with the question "Do you want to dine with Proust?" Surprisingly, I got very few arrogant or annoyed answers, except for one that hit me right in the face, coming from a very chic litterary snobbish type guy : "Proust, French literature' shame.", behind which I detected a lot of irony. Some smiled right away but most demonstrated a very unwelcoming facial expression, as the French know how to build one in one second, of the "What, but we have not been introduced!" kind, that was, as soon as they heard my argument,quickly transformed into a splendid smile,: "What a divine idea you had!". I love the French, always ready to surprise you....
From the next dinner (le mercredi 23 mars) A table à Combray! Here is Saint-Simon, an expert in arrogance: