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Voici la scène que cet essai m'a inspirée:
XIV
Le petit pan de mur jaune au Louvre
Trois hommes et une femme, habillés de gris, chemise blanche, s’approchent tantôt du tableau, tantôt d’un pupitre qui porte le texte de Proust :
– C’est vraiment une bonne idée d’avoir présenté le texte, une façon magnifique d’allier peinture et littérature !
– Nos collègues des Musées nationaux se sont défoncés.
– Et si nous reprenions leur idée ?
– Trouver les écrits sur certains tableaux du Louvre et les exposer, ça doit pouvoir se faire.
– Peut-être, beaucoup d’écrivains ont été critiques d’art, de Baudelaire à Michel Butor, et aussi Diderot.
– Ah oui, la fameuse citation lorsqu’il s’adresse à la peinture : « Touche-moi, étonne-moi, déchire-moi, fais-moi tressaillir, pleurer, frémir, m’indigner d’abord »
– Sans oublier tous les auteurs qui ont créé une fiction autour de la peinture, comme Oscar Wilde et son Portrait de Dorian Gray, qui est plus qu’une fiction autour de la peinture, une illustration d’un esthétisme décadent.
– Son esthétisme sans doute décadent ne l’a pas empêché d’écrire que la nature imite l’art ! et non l’inverse… C’était très fort, un trait d’esprit qui masque de la profondeur, tout Wilde !
– Il a aussi dit, dans la même veine : « Il n’y avait pas de brouillard à Londres avant que Whistler ne l’ait peint. »
– Comme il n’y avait pas de petit pan de mur jaune chez Vermeer avant que Proust ne le remarquât.
– A propos de Wilde et Proust, pour digresser, j’avais adoré cette réplique du baron de Charlus : « Et la mort de Lucien ! je ne me rappelle plus quel homme de goût avait eu cette réponse, à qui lui demandait quel évènement l’avait le plus affligé dans sa vie : "La mort de Lucien de Rubempré dans Splendeurs et misères." » On sait qui était cet homme de goût.
– Une autre fiction magnifique, celle de Balzac, dans sa nouvelle Le chef-d’œuvre inconnu. sur les mystères de l’art avec Nicolas Poussin comme l’un des personnages de ce conte fantastique : a-t-on mis le texte ou du moins un extrait en regard d’un des tableaux de Poussin, vous savez, ceux qui sont dans l’aile Richelieu ?
– Non je ne pense pas mais il faut voir, c’est peut-être à envisager.
– Mais rien n’est comme le petit pan de mur jaune et la mort de Bergotte, c’est bien dommage que ce soit le Mauristhuis de La Haye qui possède le tableau, mais dans le fond pas étonnant. De Vermeer, nous avons quand même La dentelière et L’astronome. Nous les avons déplacés jusqu’à l’autre bout des Tuileries pour cette expo.
– Alors cette idée ? des textes sur des pupitres ? Il y a déjà pas mal de fiches près des toiles exposées, sans compter les guides audio.
– J’ai une autre idée : pourquoi ne pas demander à des auteurs, vivants bien entendu, de faire une conférence, une lecture d’un texte que leur aura inspiré un des innombrables tableaux exposés chez nous ? Un auteur- un tableau.
– Intéressant ! mais j’ai bien peur que peu d’œuvres puissent inspirer une nouvelle sorte de Mort de Bergotte, et ce qui est passionnant pour un bon écrivain ce serait de composer autour d’un syndrome de Stendhal qu’il aurait pu éprouver, et combien de toiles répondent à ce critère : une immense émotion, un style magnifique, un argument convaincant devant un tableau.
– Et non pas un regard de simple. Ça va pas être facile.
– Il faut tout de même essayer, une série de lectures par des plumitifs (comme aurait dit Oriane de Guermantes se moquant de Mme de Cambremer), devant un public d’amateur :
– Et on appellerait cet exercice : "le petit pan de mur jaune" pour le Louvre.
– Une façon d’avoir un peu du plus beau tableau du monde !
LA GARDIENNE : – J’ai vu le moment où ces officiels allaient s’emparer du tableau et courir avec leur butin !