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  le blog proustpourtous

Les réflexions d'une proustienne sur sa vie, et en quoi elle lui rappelle dans des épisodes du quotidien des passages de "A la recherche du temps perdu"

LES GAGNANTS DU CONCOURS DES PASTICHES DE PROUST: IV

Publié le 21 Mai 2020 par proust pour tous

Dampierre

Espérant l'honneur d'être primée (n'étant pas distinguée) dans le concours de pastiches 2020, sans cependant recevoir une cocarde comme les plus belles vaches du concours agricole, ce qu'aurait préconisé un délicieux pasticheur, Philippe Morel dans son PAYS DE VACHES: LES VACHES, n'ayant pas attrapé LA GRIPPE DE SHANGAI, bien que j'aie dû vivre EN CONFINEMENT, EN CONFINEMENT, un vrai DEPLAISIR DE NOS JOURSaprès m'être enfuie de Paris pour LE PAYS DE CRONCE,  où j'avais rejoint MADEMOISELLE, alias ERNESTINE DE GUERMANTES (en fait GUERE MANTES, ETERNELLEMENT P une ECHAPPEE MUSICALE sur l'AIR DE LA CALOMNIE, j'avais laissé mon manuscrit AU FOND D'UN TIROIR, en attendant de choisir entre deux titres, UN ARCHITECTE AVENTURE CHEZ LES VERDURIN, ou, et c'est finalement ce que je choisis, UN MERCREDI ARTISTIQUE, dans le but avoué d'égaler en exactitude journalistique L'AFFAIRE LEMOINE VUE PAR PROUST. Bien m'en avait pris, j'avais choisi le bon sujet !

 

Les voici, 2 par jour 

 

Mademoiselle

Véronique Multon

Texte distingué, catégorie Amateurs

Mlle de Guermantes refusait d’avouer. Ses parents l’auraient bien consignée dans sa chambre mais compte tenu des nombreux visiteurs, on ne pouvait se le permettre. Des questions n’auraient pas tardé à fuser et à venir embarrasser le couple sur l’absence de la jeune fille. Etait elle souffrante ?Ce n’était pas grave ?Elle aurait pris froid au bois. Elles prennent toutes froid au bois.Ce n’est pas qu’on ne les prévient pas mais ces demoiselles n’en font qu’à leur tête ! Pas de pelisse,ni de toque et encore moins de gants !En plein hiver !A moins que ce ne soit en patinant sur le lac gelé ? Bref, tous ces bavardages intempestifs auxquels il aurait fallu répondre leur étaient ainsi évités. Sauver les apparences :tout était là. Mlle était néanmoins punie. Le minimum de sorties, pour ne pas éveiller les soupçons, mais ni gâteaux ni sucreries. Elle était privée du tea time de 17h tapantes, l’horloge en attestait avec une précision sans faille, elle qui en était si friande. Et de théâtre. Elle avait beau faire ses yeux mélancoliques, Mme et Mr ne cédaient pas. La bonne qui avait eu l’idée saugrenue de s’en inquiéter s’était vue rembarrer par la maîtresse de maison : »elle ne veut pas finir comme vous :un tonneau, à 40 ans ! »Françoise n’avait pas demandé son reste. N’empêche, c’était bizarre cette histoire. D’autant que Mlle faisait la tête, ne plaisantait plus et ne courait plus dans les escaliers. Françoise savait bien, en bonne domestique dévouée que cela ne la regardait en rien mais elle se faisait du souci pour Mlle. Si elle avait été souffrante on aurait fait venir le docteur. Or il n’en n’était rien. Et puis Mlle continuait à sortir avec ses amis. Mlle de Guermantes ne voulait pas avouer. Ses parents la convoquaient régulièrement dans le salon aux bibelots improbables et laids où le moindre cri lié à la plus petite révélation eut probablement provoqué une casse en cascade. Mlle était soumise à un véritable interrogatoire qui se terminait invariablement par : »je n’ai rien à vous dire". »Alors ! »,s’emportait sa mère, »quand tu rentres sur la pointe des pieds en pleine nuit et que je te surprends dans l’escalier, ce n’est rien, peut- être ? c’est normal ? » « Ma chère, calmez- vous ! je vais demander à Françoise de vous apporter vos sels. Il ne manquerait plus que vous fassiez un malaise, comme cet ami de votre fille, vous savez, ce jeune homme asthmatique qui tourne de l’œil à chaque réception ! ». »Je ne suis pas asthmatique et je ne vais pas me calmer mon ami !Pas tant que notre fille n’aura pas avoué la cause de son retard nocturne ! ». « Mais avouer quoi ,ma chère ?elle n’a peut être rien à avouer, voilà tout ! »Et Mlle ne pouvait alors empêcher cette lueur victorieuse d’animer ses beaux yeux clairs.Elle avait du caractère. Elle n’avouerait rien. » Elle est peut être amoureuse » ?tenta son père. »Amoureuse ?mais de qui ?vous divaguez mon ami » ! A ces mots Mlle s’était légèrement empourprée mais personne n’y prêta attention. »Eh bien peut être de ce jeune homme fragile et romantique qui vient souvent chez nous ? »La duchesse éclata d’un rire strident : »vous débloquez complètement ! ce hareng saur ? hahaha, elle est bien bonne ! » Le duc soupira. L’affaire était loin d’être résolue. Le hareng saur, moi en l’occurrence, pensait que toute cette comédie familiale était vaine, puisque Mlle n’avouerait pas,  jamais, la cause de son retard. Je n’y étais pour rien :amoureux transi, je le resterais. Mlle était allée au bal comme bon nombre d’entre nous et la soirée s’était prolongée. Elle était rentrée bien trop tard pour une jeune fille de son rang. Je savais.je savais parce que je l’avais vue et qu’elle avait surpris mon regard dans la remise à peine éclairée. Elle ne tomberait pas enceinte comme le craignait sa pauvre mère pour laquelle retard était synonyme de perdition. Car ce n’est pas un galant qui se penchait sur le corsage dégrafé de la jeune demoiselle mais une galante. Mlle de Guermantes, au bord de la pâmoison, avait surpris mon regard étonné mais ne s’était pas cachée. J’étais sorti précipitamment, comme pris en faute, exagérément troublé par la vision de sa gorge généreuse que j’avais tant convoitée. Et qu’elle l’offrit à une autre me causait une souffrance sans nom. J’étouffais de colère et surtout de chagrin. Comment était- ce possible ? C’était un cauchemar. Je savais désormais que mes nuits fiévreuses et sans sommeil auraient une vraie raison. Je dus ouvrir mon col empesé par la bonne ,au bord de la suffocation. Je parvins à rejoindre le bal un peu comme ces automates mécaniques. Je devais être livide. J’avalai d’un trait un verre de porto :cela me donnerait la force de rentrer chez moi .Mlle n’aimait pas les garçons. Elle ne m’aimait pas et ne m’aimerait jamais.(j’entrevis néanmoins dans cette situation une légère consolation car, étant un jeune homme, elle ne m’aurait pas davantage regardé si j’avais été beau et en bonne santé :je n’avais point de rivaux. Laid, malingre et asthmatique, je n’étais pour une fois pas plus mal loti que ses séduisants prétendants :nul ne l’aurait.)Elle ne m’aimerait jamais mais n’en aimerait point d’autre.(je ressentis presque un léger sentiment de satisfaction à cette pensée.)C’était la seule chose à savoir. C’était aussi la seule chose qu’elle n’avouerait jamais. »

 

 

Ernestine de Guermantes

Willem Hardouin 

Texte distingué, catégorie Amateurs

À Jacques Rivière, le 6 février 1922. Monsieur, mon bon ami, mon meilleur lecteur, me voilà dans la tourmente. Figurez-vous que mon Oriane, ma si aristocratique, si olympienne Oriane, risque de voir sa réputation entachée par la renommée grandissante que ces messieurs de la Salpêtrière donnent à l’une de leur patiente, réputation qui ne ferait rien moins qu’abaisser mon Oriane au-dessous du rang des tripières ! Vous le savez, Georges de Lauris ne m’a jamais dit si le nom de « Guermantes » était effectivement disponible. Vous savez aussi que François de Pâris, propriétaire du château de Guermantes, ne m’a jamais envoyé l’étymologie, la devise, les armes de sa famille, alors qu’il me l’avait promis, et je viens peut-être de découvrir pourquoi. Eulalie de Guermantes eut deux filles. Albertine de Puységur, qui épousa le baron de Lareinty en 1849, de qui descend François de Pâris. Mais aussi Ernestine, comtesse Picot de Dampierre, aux funérailles de laquelle j’ai d’ailleurs assisté, en 1884. Jules et Edmond de Goncourt en parlent sous le nom de « Mme de Dampierre », et en date du 27 juillet 1860, ils précisent qu’elle était affectée d’une terrible maladie : la coprolalie ! Un des symptômes de cette maladie, symptôme qui s’exprimait à plein chez la comtesse de Dampierre, était de cracher, de jurer, et d’« aboyer », sans pouvoir s’en empêcher, le fond de sa pensée. Elle a dit, par exemple, en étant reçue au château de la baronne de Rothschild, « chez moi, c’est le château, ici, c’est la boutique ». Quelle offense ! Et je ne pourrais, sans froisser votre pudeur, vous répéter le mot ordurier que le docteur Jean-Martin Charcot, un jour mémorable, a entendu proférer par la comtesse en suivant celle-ci dans les escaliers. L’origine de ma détresse, maintenant. Ernestine était devenue comtesse de Dampierre par son mariage… elle est née Ernestine Prondre de Guermantes ! Je le sais de façon sûre, parce que Jupiter tonnant (je veux dire le comte de Greffulhe), cousin de mon regretté Robert de Montesquiou, lui est apparenté. Il l’a connue, visitée, fréquentée et vous-savez-quoi. Imaginez un peu que cette nouvelle se répande ! Ce serait une catastrophe : ma merveilleuse duchesse de Guermantes, le cygne aux yeux de pervenche, l’auteur de « Mais c’est charmant aussi de rester au coin de son feu », elle dont les « mots » sont connus, répétés, suivis et catalogués par tout le gratin, par les Altesses et les comtesses, elle qui sait se montrer sobre et humble dans un fauteuil (« On entend mieux pour une pièce qui en vaut la peine », vous avez aimé ce mot), ramenée à une pauvre coprolalique, qui traite sa voisine de boutiquière ! Un cataclysme pour mon roman, dont les liens avec la réalité entravent déjà la beauté. Oh, imaginez, Oriane de Guermantes, qui raille la bêtise de sa cousine d’Heudicourt en des termes si délicats, si subtils, poignardée dans les journaux à cause de cette fâcheuse coïncidence ! Oriane de Guermantes, dont la seule grossièreté est « Senti est très juste pour un auteur aussi odorant » (mot assez audacieux, je l’avoue). Mon bon ami, il faut que vous m’aidiez. Que faire ? Dans son Étude sur une affection nerveuse, parue en 1885, monsieur Gilles de la Tourette évoque nominativement la comtesse de Dampierre. Il faudrait que personne ne sache, et cela jusqu’à la fin des temps, qu’elle naquit Guermantes. On m’embête déjà bien assez avec Mme de Chevigné, qui croit être le modèle d’Oriane, et qui l’affirme partout où elle va ! La lettre est absolument supérieure aux êtres. Malheureusement, vous comme moi sommes les seuls à le savoir, et vous imaginez ce qu’il se passerait si l’on apprenait que la dernière des Guermantes fut la comtesse Picot de Dampierre dont la presse, au moment de ses funérailles, rappelait encore les propos orduriers, la risée de Paris ! Quelle offense pour Oriane, mon ami, quel scandale pour moi ! Il faudrait être affublé de la même pathologie, pour pouvoir leur dire à tous : « merde ! » Répondez-moi vite et, pour une fois, brûlez cette lettre, Marcel Proust.

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