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  le blog proustpourtous

Les réflexions d'une proustienne sur sa vie, et en quoi elle lui rappelle dans des épisodes du quotidien des passages de "A la recherche du temps perdu"

Un ancêtre de "Dîner chez les Guermantes" par Stendhal; An ancester of "A Guermantes' Dinner", by Stendhal

Publié le 23 Février 2016 par proust pour tous

Julien Sorel par Gérard Philippe (dans un film de Claude Autant-Lara)
Julien Sorel par Gérard Philippe (dans un film de Claude Autant-Lara)

Pour vous préparer au "Dîner chez les Guermantes" demain soir le mercredi 24 février au Café de la Mairie, une mise en bouche par Stendhal: Julien Sorel fait ses débuts chez le marquis de La Mole (faubourg Saint Germain). Persifflage, arme indispensable à la pratique de l'art de la conversation à la française!

Il y avait trop de fierté et trop d’ennui au fond du caractère des maîtres de la maison ; ils étaient trop accoutumés à outrager pour se désennuyer, pour qu’ils pussent espérer de vrais amis. Mais, excepté les jours de pluie, et dans les moments d’ennui féroce, qui étaient rares, on les trouvait toujours d’une politesse parfaite.
Si les cinq ou six complaisants qui témoignaient une amitié si paternelle à Julien eussent déserté l’hôtel de La Mole, la marquise eût été exposée à de grands moments de solitude ; et, aux yeux des femmes de ce rang, la solitude est affreuse : c’est l’emblème de la disgrâce.
Le marquis était parfait pour sa femme ; il veillait à ce que son salon fût suffisamment garni; non pas de pairs, il trouvait ses nouveaux collègues pas assez nobles pour venir chez lui comme amis, pas assez amusants pour y être admis comme subalternes.
Ce ne fut que bien plus tard que Julien pénétra ces secrets. La politique dirigeante qui fait l’entretien des maisons bourgeoises n’est abordée dans celles de la classe du marquis, que dans les instants de détresse.
Tel est encore, même dans ce siècle ennuyé, l’empire de la nécessité de s’amuser que même les jours de dîners, à peine le marquis avait-il quitté le salon, tout le monde s’enfuyait.
[...]
Ces nobles personnages ne dissimulaient pas le mépris sincère pour tout ce qui n’était pas issu de gens montant dans les carrosses du roi. Julien observa que le mot croisade était le seul qui donnât à leur figure l’expression du sérieux profond, mêlé de respect. Le respect ordinaire avait toujours une nuance de complaisance.
[...]
— Ah ! voici M. Descoulis, dit Mathilde, il n’a plus de perruque ; est-ce qu’il voudrait arriver à la préfecture par le génie ? Il étale ce front chauve qu’il dit rempli de hautes pensées.
— C’est un homme qui connaît toute la terre, dit le marquis de Croisenois ; il vient aussi chez mon oncle le cardinal.
Il est capable de cultiver un mensonge auprès de chacun de ses amis, pendant des années de suite, et il a deux ou trois cents amis.
[...]
— Voyez, dit Mlle de La Mole, voilà l’homme indépendant, qui salue jusqu’à terre M. Descoulis, et qui saisit sa main. J’ai presque cru qu’il allait la porter à ses lèvres.
[...]
— Ah ! voici l’homme d’esprit par excellence, M. le baron Bâton, dit Mlle de La Mole, imitant un peu la voix du laquais qui venait de l’annoncer.
— Je crois que même vos gens se moquent de lui. Quel nom, baron Bâton ! dit M. de Caylus.
— Que fait le nom ? nous disait-il l’autre jour, reprit Mathilde. Figurez-vous le duc de Bouillon annoncé pour la première fois ; il ne manque au public, à mon égard, qu’un peu d’habitude…
Julien quitta le voisinage du canapé. Peu sensible encore aux charmantes finesses d’une moquerie légère, pour rire d’une plaisanterie, il prétendait qu’elle fût fondée en raison. Il ne voyait dans les propos de ces jeunes gens, que le ton de dénigrement général, et en était choqué.
Sa pruderie provinciale ou anglaise allait jusqu’à y voir de l’envie, en quoi assurément il se trompait.
[...]
— Je suis indépendant, moi, disait-il à un monsieur portant trois plaques, et dont apparemment il se moquait. Pourquoi veut-on que je sois aujourd’hui de la même opinion qu’il y a six semaines ? En ce cas, mon opinion serait mon tyran.
[...]
Comment, habitant l’hôtel d’un grand seigneur, ne savez-vous pas le mot du duc de Castries sur d’Alembert et Rousseau : « Cela veut raisonner de tout, et n’a pas mille écus de rente ! »
[...]
Ainsi, pensait Julien en les entendant rire dans l’escalier, il m’a été donné de voir l’autre extrême de ma situation ! Je n’ai pas vingt louis de rente, et je me suis trouvé côte à côte avec un homme qui a vingt louis de rente par heure, et l’on se moquait de lui… Une telle vue guérit de l’envie. Le Rouge et le Noir, livre II, chapitre IV, L'hôtel de La Mole

To prepare you for "Dîner chez les Guermantes" tomorrow night at the Café de la Mairie, place Saint Sulpice, in Paris, here is an appetizer cooked by Stendhal: Julien Sorel is making his debut at the Marquis de la Mole' salon, fbg Saint Germain! Mockery, the essential weapon to practice the art of conversation "à la française" ...

There was too much pride, there was too much boredom in the character of both host and hostess; they were too much in the habit of insulting people for their own distraction, to be able to expect any true friends. But, except on wet days, and in their moments of furious boredom, which were rare, they were never to be found wanting in politeness.
If the five or six flatterers who treated Julien with such fatherly affection had deserted the Hotel de La Mole, the Marquise would have been left to long hours of solitude; and, in the eyes of women of her rank, solitude is a dreadful thing: it is the badge of disgrace.
The Marquis behaved admirably to his wife; he saw to it that her drawing-room was adequately filled; not with peers, he found his new colleagues scarcely noble enough to come to his house as friends, nor entertaining enough to be admitted as subordinates.
It was not until much later that Julien discovered these secrets. The political questions which form the chief topic in middle-class houses are never mentioned in houses like that of the Marquis, save in times of trouble.
So powerful still, even in this age of boredom, are the dictates of the need of amusement, that even on the evenings of dinnerparties, as soon as the Marquis had left the drawing-room, everyone else fled.
[...]
‘Look,’ said Mademoiselle de La Mole, ‘there is your independent man, bowing to the ground before M. Descoulis, and seizing his hand. I almost thought he was going to raise it to his lips.’
[...]
‘Ah! Here comes a man of brains if you like, M. le Baron Baton,’ said Mademoiselle de La Mole, imitating the voice of the footman who had just announced him.
‘I think even your servants laugh at him. What a name, Baron Baton!’ said M. de Caylus.
‘“What’s in a name?” as he said to us the other day,’ retorted Mathilde. ‘“Imagine the Duc de Bouillon announced for the first time. All the public needs, in my case, is to have grown accustomed to it.”’
Julien quitted the circle round the sofa. Still but little sensible of the charming subtleties of a light-handed mockery, if he were to laugh at a witticism, he required that it should be founded on reason. He could see nothing in the talk of these young men, but the tone of general depreciation, and this shocked him. His provincial or English prudery went so far as to detect envy in it, wherein he was certainly mistaken.
[...]
‘I am independent, myself,’ he was saying to a gentleman wearing three decorations, whom he was apparently quizzing. ‘Why should I be expected to hold the same opinion today that I held six weeks ago? If I did, I should be a slave to my opinion.’
[...]
What, living in a great nobleman’s mansion, don’t you know the Duc de Castries’s saying about d’Alembert and Rousseau: “That sort of fellow wishes to argue about everything, and has not a thousand crowns a year?”’
[...]
‘And so,’ thought Julien, as he heard the sound of their laughter on the staircase, ‘I have been allowed to see the opposite extreme to my own position! I have not an income of twenty louis, and I have found myself rubbing shoulders with a man who has an income of twenty louis an hour, and they laughed at him . . . A sight like that cures one of envy.’ The Red and the Black, book II, chapter IV
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