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  le blog proustpourtous

Les réflexions d'une proustienne sur sa vie, et en quoi elle lui rappelle dans des épisodes du quotidien des passages de "A la recherche du temps perdu"

LE SYNDROME DE STELLA: on passe du tiède au chaud, je ne brûle pas encore

Publié le 19 Avril 2022 par proust pour tous in SYNDROME DE STELLA

Le bleu et le jaune, pas pour ce que vous pensez
EXTRAITS D'EMAILS depuis novembre 2021 
Cher Alexis,
J'ai repris mes "Dînez avec Proust", sous la pression d'anciens participants et aussi de nouveaux recrutés parmi les fans de Marcel Proust sur facebook.
[...]
D'où le retour à notre rencontre:
une série du genre "dix pour cent", autour de ce public qui vient jouer du Proust régulièrement au café de la mairie. Avec à chaque fois un invité un peu prestigieux (y a des proustiens partout), le tout sous ma houlette et celle d'un comédien connu (la proustienne et le prof de théâtre), le texte de Proust bien sûr (j'en ai des tapées prêtes à servir), des histoires cocasses ou émouvantes des personnages...
Je te mets en pj un des textes qui pourrait servir pour un épisode autour du petit pan de mur jaune, et la présentation des "Dînez avec Proust".
2022 centenaire de la mort de Proust, on ne parle que de lui, notre projet pourrait plaire !
pj:

                                  Le bleu et le jaune

« Pour moi, le petit pan de mur jaune, ça évoque la bougie de la mère du narrateur quand elle monte l’escalier où il la guette, pour exiger le baiser dont il a besoin pour s’endormir.

– Tu as raison Jahida, c’est vraiment freudien. D’ailleurs, le mot “pan” est répété à plusieurs reprises dans À la recherche du temps perdu, un véritable refrain. Tout le livre vaut une psychanalyse, et le cœur de l’histoire, c’est ce petit pan de mur éclairé par la mère. La fondation de l’œuvre.

– Pour moi, le petit pan de mur jaune, ça signifie qu’il faut, comme pour Bergotte durant son malaise, travailler sa phrase sans relâche. Depuis que j’ai lu ce passage, et que j’ai vu les “paperolles”, ces bandes de papier à rallonge sur lesquelles Proust a corrigé son manuscrit, je n’ai plus de complexes à lire et relire mes mémoires que j’espère achever un jour.

– Avant de mourir, Bergotte est hypnotisé par ce pan de mur, papillon jaune qui volette devant ses yeux, tel Citizen Kane, mourant, répétant “Rosebud” qui, on l’apprend après enquête, était le nom inscrit sur sa luge d’enfant, quand sa mère l’avait envoyé chez son oncle parfaire son éducation. Il bâtira un empire. Et à l’heure de sa mort, tous ses regrets iront à sa mère perdue… Toujours les mères, on en a marre d’être responsables de tout, fichez-nous la paix !

– Non, ne t’énerve pas, Marie-Pierre et Catherine ont tout faux, tout cela n’a rien à voir avec la psychanalyse. L’important, c’est que “pan de mur jaune” est répété huit fois dans le texte : “petit pan de mur jaune”… “le tout petit pan de mur jaune”… “le pan de mur si bien peint en jaune”… “le petit pan de mur jaune avec un auvent”…

– Et la mère du narrateur qui l’appelle “mon serin”, “mon petit jaunet”, c’est sûr qu’elle fait allusion au petit pan de mur jaune !

– Jules, tu te moques de Marcel ? C’est pourtant sérieux, la mort de Bergotte, et l’amour de la peinture de Vermeer. Quoique, en fait de petit pan de mur jaune, on n’y voie goutte. La Vue de Delft, pour Proust le plus beau tableau du monde, n’est qu’une occasion de déployer son art de romancier, qui peut tout faire gober à son lecteur : nous nous sommes précipités sur des reproductions pour localiser le petit pan de mur jaune et nous ne sommes même pas sûrs de savoir de quel mur, quel pan, quel auvent, quel jaune il parle. L’auteur nous a roulés dans la farine, et c’est ça qui est fort : il décrit un bout de tableau, et zou, on y court, on veut voir ce qu’il a vu, on veut être sûrs de se faire sa petite opinion.

– Normal ! Proust lui-même dit dans son roman que l’écrivain donne à son lecteur un instrument d’optique pour qu’il regarde en lui-même. Et comme chaque lecteur est unique, cent proustiens, cent interprétations différentes !

– Eh bien, moi qui suis peintre, je vous le dis, ce qui compte, c’est que le petit pan de mur soit jaune, c’est la couleur. D’ailleurs, la description de la Vue de Delft nous rappelle que Proust était à sa façon un grand peintre avec sa palette faite de mots.

– Il est fort, notre Marcel : il fait de la pub pour un peintre qu’il adore, à tel point qu’on ne peut parler sérieusement de Vermeer sans citer le petit pan de mur jaune. Je viens de voir à la télé une exposition de peintres hollandais du xviie siècle à Berlin, et qui donc a été cité ? C’est fou !

– On a de la chance : quand on parle de Vermeer, on cite Proust ; quand on parle de peinture, on cite Proust, de même pour la jalousie, la musique, le temps qui passe, la mémoire.

– Et le bœuf en gelée…

– Ah, la mémoire involontaire, la fameuse madeleine… Savez-vous qu’à Illiers-Combray, près du musée Marcel-Proust, deux pâtisseries se battent pour appeler leurs madeleines “la véritable madeleine de Proust” ? »

Pendant cette conversation typique du petit cercle de proustiens habitués du premier étage du Café de la mairie, place Saint-Sulpice, un nouveau venu, Jérôme, homme charmant et mélancolique, ne disait rien. Il avait rejoint ce cénacle d’enragés de La Recherche, longtemps après avoir dévoré le livre après un chagrin d’amour, et s’en était trouvé consolé par l’analyse de la douleur qu’il venait d’éprouver. Rassuré que sa tristesse puisse être si bien déconstruite et élevée à un niveau universel, il avait gravi un échelon dans la connaissance de lui-même. Et quand il avait appris comment l’on pouvait retrouver des fans de Proust à Paris, il n’avait pas hésité, le troisième mercredi de chaque mois, à quitter plus tôt son bureau d’ingénieurs. Mais comme il avait l’habitude et le goût de la précision, il finit par faire une proposition :

« Nous connaissons tous bien le tableau de Vermeer, nous en avons vu mille reproductions. Mais elles ne nous permettent pas de résoudre l’énigme du petit pan de mur jaune, car on ne voit pas à l’échelle, et on ne sait pas s’il est brillant ou terne. Allons à La Haye ! »

À deux pas de là, à l’École du Louvre, un cycle sur le « bleu de Delft », faïence blanche à décor bleu du xviie siècle, prenait fin. Parmi les étudiants, certains venaient en dilettantes, tandis que d’autres, comme Hélène, travaillaient dur. Après quelques années dans l’aéronautique, elle s’était reconvertie dans l’architecture d’intérieur, où sa formation d’ingénieur lui rendait de grands services. Elle avait alors trouvé un équilibre entre expertise technologique et amour du beau. Son sens des couleurs était qualifié par une clientèle toujours plus fournie de raffiné, voire hardi. Sujette à des enthousiasmes successifs, Hélène, alors qu’elle venait de fêter ses trente-cinq ans, s’était prise d’amour pour la couleur bleue après un choc esthétique, un « syndrome de Stendhal », du nom de l’écrivain tombé malade devant les beautés de Florence. Elle l’avait encaissé à une exposition de Matisse où les bleus des découpages, cette matière brute travaillée directement par l’artiste, l’avaient fait sangloter. Elle se mit en quête des bleus les plus intenses : après celui des peintres, elle vénéra celui des vitraux de la cathédrale de Chartres et enfin ceux de la faïence de Delft, sur le fond blanc de laquelle tournoyaient, s’entrelaçaient toutes les nuances de la couleur. Et plats, potiches, lampes, carreaux de faïence bleus trouvaient maintenant leur place dans ses chantiers de décoration. Cette prédilection pour une couleur, c’était une façon de se connecter à l’univers, qu’elle pouvait embrasser tout entier.

Au terme de la série de conférences, elle prit le train pour un week-end aux Pays-Bas. Elle vivait seule depuis peu, était libre de ses mouvements, et se rendit à Delft, puis à La Haye où le Gemeentemuseum renfermait les plus belles collections de la faïence qui avait fait la fortune de Delft, durant l’âge d’or de la Hollande.

Dès la première salle, la joie d’Hélène éclata : le décor mural était fait de carreaux de tailles différentes, un grand panneau représentait un bouquet dans un énorme vase encadré de petits carreaux d’un bleu plus foncé, avec en leur centre un motif chinois entouré d’un cercle bleu épais ; d’autres carreaux représentaient un motif géométrique, des fleurs ou des scènes de la vie courante où les moulins à vent sur un pays plat vous rappelaient que c’était bien de la Hollande qu’il s’agissait. Puis, salle après salle, le bleu et le blanc se conjuguaient en une harmonie dansante, avec les fameux carreaux, les assiettes, les plats, les timbales, jusqu’à une dernière vitrine, pleine de vases de toutes les formes. La jeune femme commençait à avoir le tournis, le bleu lui montait à la tête comme un parfum entêtant. Elle traversa la boutique du musée où sabots décorés, personnages en costumes traditionnels et maisons à pignons se faisaient salières et porte-clés. Toujours ce bleu ! Elle sortit, respira profondément. Elle venait de faire une overdose de bleu.

Il lui restait du temps en cette après-midi froide et radieuse. Pour se guérir de tant de bleu, elle entra au Mauritshuis voisin, passa rapidement devant les Rembrandt, trop sombres pour elle, car l’abus de bleu ne l’avait pas pour autant convertie au clair-obscur. Et tout à coup, elle fut attirée, telle la limaille de fer en présence d’un aimant, par un tableau déjà entouré d’une petite foule : La Jeune Fille à la perle.

Là, elle se rasséréna : deux couleurs, le bleu et le jaune, se répondaient. La jeune fille du portrait la regardait sereinement, sûre de sa beauté toute fraîche, de son costume intemporel, de son turban bleu et jaune. Le jaune, voilà ce qui manquait au bleu d’Hélène ! Elle avait sous les yeux la preuve que le bleu appelle le jaune, et la perle de la jeune fille, d’un blanc éclatant, était le sceau qui unissait ces deux couleurs.

Dans la foule qui se pressait autour du tableau, Jérôme était sous le charme. Il venait de passer de longues minutes devant la Vue de Delft, où son esprit mathématique lui avait rappelé qu’on ne peut tout quantifier. Les couleurs s’harmonisaient, se fondaient et, malgré la belle taille du tableau – 1,18 mètre sur 0,98 mètre, il avait vérifié –, le jaune du petit pan de mur était presque invisible, si petit, si insignifiant… Il s’était dit qu’il avait passé sa vie à la recherche de ce détail minuscule, de la perfection dans tous les compartiments de sa vie. Il venait de saisir qu’il n’y avait pas suffisamment de jaune, presque pas de jaune dans le tableau auquel il avait rêvé ! Marcel Proust était avant tout un romancier ! La beauté de l’œuvre de Vermeer tenait plus à l’harmonie de la composition et des couleurs qu’au petit pan de mur jaune. Comme le « Rosebud » d’Orson Welles, c’était une ruse pour fixer l’attention du lecteur spectateur.

Mais bientôt, il se trouva devant l’autre chef-d’œuvre de Vermeer, La Jeune Fille à la perle, et éprouva comme un nouvel espoir : le jaune était bien net, bien assis, tenant sa juste place au regard du bleu. Il nota même que le turban de la jeune fille se terminait par deux pans… bleu et jaune ! Il fallait les deux. Il comprit que sa vie devait se réorienter et sourit de tout son être.

À ce moment, une main se posa sur son épaule. Il reconnut une ancienne camarade de son école, qu’il avait regretté de ne pas mieux connaître, dévoré qu’il était par sa grande et désastreuse histoire d’amour. Son visage s’illumina : Hélène !

 

 
Bonjour Laurence,
Je suis néanmoins tes aventures avec intérêt et bravo pour les "dînez avec Proust" !
Le projet est intéressant et j'aime beaucoup ton texte, il faudrait juste trouver le "twist" (ou high concept) qui puisse intéresser une plateforme par exemple. Mon problème actuel est le manque de temps mais j'y réfléchis et je reviens vers toi en janvier. C'est vrai que cet anniversaire est aussi un argument supplémentaire.
[...] Il faudrait trouver quelques têtes d'affiche pour nous aider dans l'aventure...
En attendant je t'embrasse et te souhaite de très bonnes fêtes (depuis Boston - souvenirs émus de notre rencontre) !
 
À SUIVRE
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