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  le blog proustpourtous

Les réflexions d'une proustienne sur sa vie, et en quoi elle lui rappelle dans des épisodes du quotidien des passages de "A la recherche du temps perdu"

LES SEPT LEÇONS DE MARCEL PROUST : La pluie et le beau temps, la nature

Publié le 5 Mars 2020 par proust pour tous

 

tableau d' Armel Siret

 

LES SEPT LEÇONS: Savoir observer - Déchiffrer le monde - Découvrir les codes de la société - Inclure la dimension du temps en tout ce que nous vivons - Se connaître soi-même - Recourir à l’humour dans des situations variées - Oser des rapprochements inattendus, relier tout à tout

Appliquées à :

LA PLUIE ET LE BEAU TEMPS, LA NATURE

Bonheur de remarquer le temps qu’il fait (observer, déchiffrer)

J’entendais plusieurs fois par an mon grand-père raconter à table des anecdotes toujours les mêmes sur l’attitude qu’avait eue M. Swann le père, à la mort de sa femme qu’il avait veillée jour et nuit. Mon grand-père qui ne l’avait pas vu depuis longtemps était accouru auprès de lui dans la propriété que les Swann possédaient aux environs de Combray, et avait réussi, pour qu’il n’assistât pas à la mise en bière, à lui faire quitter un moment, tout en pleurs, la chambre mortuaire. Ils firent quelques pas dans le parc où il y avait un peu de soleil. Tout d’un coup, M. Swann prenant mon grand-père par le bras, s’était écrié: «Ah! mon vieil ami, quel bonheur de se promener ensemble par ce beau temps. Vous ne trouvez pas ça joli tous ces arbres, ces aubépines et mon étang dont vous ne m’avez jamais félicité? Vous avez l’air comme un bonnet de nuit. Sentez-vous ce petit vent? Ah! on a beau dire, la vie a du bon tout de même, mon cher Amédée!» (CS)

 

Un berger et son troupeau (observer, relier à la culture)

Combray de loin, à dix lieues à la ronde, vu du chemin de fer quand nous y arrivions la dernière semaine avant Pâques, ce n’était qu’une église résumant la ville, la représentant, parlant d’elle et pour elle aux lointains, et, quand on approchait, tenant serrés autour de sa haute mante sombre, en plein champ, contre le vent, comme une pastoure ses brebis, les dos laineux et gris des maisons rassemblées qu’un reste de remparts du moyen âge cernait çà et là d’un trait aussi parfaitement circulaire qu’une petite ville dans un tableau de primitif. (CS)

 

La lune fait une apparition discrète (observer, relier tout à tout)

Parfois dans le ciel de l’après-midi passait la lune blanche comme une nuée, furtive, sans éclat, comme une actrice dont ce n’est pas l’heure de jouer et qui, de la salle, en toilette de ville, regarde un moment ses camarades, s’effaçant, ne voulant pas qu’on fasse attention à elle. (CS)

 

 

Il pleut à la fenêtre  (observer)

Un petit coup au carreau, comme si quelque chose l’avait heurté, suivi d’une ample chute légère comme de grains de sable qu’on eût laissé tomber d’une fenêtre au-dessus, puis la chute s’étendant, se réglant, adoptant un rythme, devenant fluide, sonore, musicale, innombrable, universelle : c’était la pluie. (CS)

 

 

Plus qu’une poignée de tisane

(observer, déchiffrer, inclure le temps, relier à la culture)

 

Au bout d’un moment, j’entrais l’embrasser; Françoise faisait infuser son thé; ou, si ma tante se sentait agitée, elle demandait à la place sa tisane et c’était moi qui étais chargé de faire tomber du sac de pharmacie dans une assiette la quantité de tilleul qu’il fallait mettre ensuite dans l’eau bouillante. Le dessèchement des tiges les avait incurvées en un capricieux treillage dans les entrelacs duquel s’ouvraient les fleurs pâles, comme si un peintre les eût arrangées, les eût fait poser de la façon la plus ornementale. Les feuilles, ayant perdu  ou changé leur aspect, avaient l’air des choses les plus disparates, d’une aile transparente de mouche, de l’envers blanc d’une étiquette, d’un pétale de rose, mais qui eussent été empilées, concassées ou tressées comme dans la confection d’un nid. Mille petits détails inutiles –charmante prodigalité du pharmacien- qu’on eût supprimés dans une préparation factice, me donnaient, comme un livre de connaissance, le plaisir de comprendre que c’était  bien des tiges de vrais tilleuls, comme ceux que je voyais avenue de la Gare, modifiées, justement parce que c’étaient non des doubles, mais elles-mêmes et qu’elles avaient vieilli. Et chaque caractère nouveau n’y étant que la métamorphose d’un caractère ancien, dans de petites boules grises je reconnaissais les boutons verts qui ne sont pas venus à terme; mais surtout l’éclat rose, lunaire et doux qui faisait se détacher les fleurs dans la forêt fragile des tiges où elles étaient suspendues comme de petites roses d’or –signe, comme la lueur qui révèle encore sur une muraille la place d’une fresque effacée, de la différence entre les parties de l’arbre qui avaient été “en couleurs” et celles qui ne l’avaient pas été- me montrait que ces pétales étaient bien ceux qui avant de fleurir le sac de pharmacie avaient embaumé les soirs de printemps. (CS)

 

 

Le baromètre et la montre

(observer, inclure le temps, recourir à l’humour)

Il avait commencé par agacer mon père qui, le voyant mouillé, lui avait dit avec intérêt: —«Mais, monsieur Bloch, quel temps fait-il donc, est-ce qu’il a plu? Je n’y comprends rien, le baromètre était excellent. Il n’en avait tiré que cette réponse: —«Monsieur, je ne puis absolument vous dire s’il a plu. Je vis si résolument en dehors des contingences physiques que mes sens ne prennent pas la peine de me les notifier.» —«Mais, mon pauvre fils, il est idiot ton ami, m’avait dit mon père quand Bloch fut parti. Comment! il ne peut même pas me dire le temps qu’il fait! Mais il n’y a rien de plus intéressant! C’est un imbécile. Puis Bloch avait déplu à ma grand’mère parce que, après le déjeuner comme elle disait qu’elle était un peu souffrante, il avait étouffé un sanglot et essuyé des larmes.  —«Comment veux-tu que ça soit sincère, me dit-elle, puisqu’il ne me connaît pas; ou bien alors il est fou.» Et enfin il avait mécontenté tout le monde parce que, étant venu déjeuner une heure et demie en retard et couvert de boue, au lieu de s’excuser, il avait dit: —«Je ne me laisse jamais influencer par les perturbations de l’atmosphère ni par les divisions conventionnelles du temps. Je réhabiliterais volontiers l’usage de la pipe d’opium et du kriss malais, mais j’ignore celui de ces instruments infiniment plus pernicieux et d’ailleurs platement bourgeois, la montre et le parapluie.» (CS)

 

 

Les nymphéas de la Vivonne

(observer, inclure le temps, recourir à l’humour, relier tout à tout, et à la culture)

 

Bientôt le cours de la Vivonne s’obstrue de plantes d’eau. Il y en a d’abord d’isolées comme tel nénufar à qui le courant au travers duquel il était placé d’une façon malheureuse laissait si peu de repos que comme un bac actionné mécaniquement il n’abordait une rive que pour retourner à celle d’où il était venu, refaisant éternellement la double traversée. Poussé vers la rive, son pédoncule se dépliait, s’allongeait, filait, atteignait l’extrême limite de sa tension jusqu’au bord où le courant le reprenait, le vert cordage se repliait sur lui-même et ramenait la pauvre plante à ce qu’on peut d’autant mieux appeler son point de départ qu’elle n’y restait pas une seconde sans en repartir par une répétition de la même manœuvre. Je la retrouvais de promenade en promenade, toujours dans la même situation, faisant penser à certains neurasthéniques au nombre desquels mon grand-père comptait ma tante Léonie, qui nous offrent sans changement au cours des années le spectacle des habitudes bizarres qu’ils se croient chaque fois à la veille de secouer et qu’ils gardent toujours; pris dans l’engrenage de leurs malaises et de leurs manies, les efforts dans lesquels ils se débattent inutilement pour en sortir ne font qu’assurer le fonctionnement et faire jouer le déclic de leur diététique étrange, inéluctable et funeste. Tel était ce nénufar, pareil aussi à quelqu’un de ces malheureux dont le tourment singulier, qui se répète indéfiniment durant l’éternité, excitait la curiosité de Dante et dont il se serait fait raconter plus longuement les particularités et la cause par le supplicié lui-même, si Virgile, s’éloignant à grands pas, ne l’avait forcé à le rattraper au plus vite, comme moi mes parents. (CS)

 

Ces chères aubépines (se connaître, recourir à l’humour)

Cette année-là, quand, un peu plus tôt que d'habitude, mes parents eurent fixé le jour de rentrer à Paris, le matin du départ, comme on m'avait fait friser pour être photographié, coiffer avec précaution un chapeau que je n'avais encore jamais mis et revêtir une douillette de velours, après m'avoir cherché partout, ma mère me trouva en larmes dans le petit raidillon contigu à Tansonville, en train de dire adieu aux aubépines, entourant de mes bras les branches piquantes, et, comme une princesse de tragédie à qui pèseraient ces vains ornements, ingrat envers l'importune main qui en formant tous ces nœuds avait pris soin sur mon front d'assembler mes cheveux, foulant aux pieds mes papillotes arrachées et mon chapeau neuf. Ma mère ne fut pas touchée par mes larmes, mais elle ne put retenir un cri à la vue de la coiffe défoncée et de la douillette perdue. Je ne l'entendis pas : « Ô mes pauvres petites aubépines, disais-je en pleurant, ce n'est pas vous qui voudriez me faire du chagrin, me forcer à partir. Vous, vous ne m'avez jamais fait de peine ! Aussi je vous aimerai toujours. » Et, essuyant mes larmes, je leur promettais, quand je serais grand, de ne pas imiter la vie insensée des autres hommes et, même à Paris, les jours de printemps, au lieu d'aller faire des visites et écouter des niaiseries, de partir dans la campagne voir les premières aubépines. (CS)

 

Gouttes d’eau ou hirondelles ? (observer, relier tout à tout)

Mais d'autres fois se mettait à tomber la pluie dont nous avait menacés le capucin que l'opticien avait à sa devanture ; les gouttes d'eau, comme des oiseaux migrateurs qui prennent leur vol tous ensemble, descendaient à rangs pressés du ciel. Elles ne se séparent point, elles ne vont pas à l'aventure pendant la rapide traversée, mais chacune tenant sa place attire à elle celle qui la suit et le ciel en est plus obscurci qu'au départ des hirondelles. (CS)

 

Où sont les départs en vacances d’antan ? (observer, incorporer le temps)

Les levers de soleil sont un accompagnement des longs voyages en chemin  de fer, comme les œufs durs, les journaux illustrés, les jeux de cartes, les rivières où des barques s’évertuent sans avancer. (JF)

 

Un peu d’astronomie (observer, inclure le temps)

Théoriquement on sait que la terre tourne, mais en fait on ne s'en aperçoit pas, le sol sur lequel on marche semble ne pas bouger et on vit tranquille. Il en est ainsi du Temps dans la vie. (JF) 

 

Un panorama gastronomique (observer, recourir à l’humour, relier tout à tout)

Avant le dîner à la cuisine, une bande de ciel rouge au-dessus de la mer compacte et coupante comme de la gelée de viande, puis bientôt sur la mer déjà froide et bleue comme le poisson appelé mulet, le ciel du même rose qu’un de ces saumons que nous nous ferions servir tout à l’heure à Rivebelle ravivaient le plaisir que j’allais avoir à me mettre en habit pour partir dîner. (JF) 

 

Le soleil, la mer, les oiseaux, la musique, le temps figé  

 (observer, déchiffrer, inclure le temps, recourir à l’humour, relier tout à tout, à l’art et à  la culture)

 

Je savais que mes amies étaient sur la digue mais je ne les voyais pas, tandis qu’elles passaient devant les chaînons inégaux de la mer, tout au fond de laquelle et perchée au milieu de ses cîmes bleuâtres comme une bourgade italienne, se distinguait parfois dans une éclaircie la petite ville de Rivebelle, minutieusement détaillée par le soleil. Je ne voyais pas mes amies, mais (tandis qu’arrivaient jusqu’à mon belvédère l’appel des marchands de journaux, «des journalistes», comme les nommait Francoise, les appels des baigneurs et des enfants qui jouaient, ponctuant à la façon des cris des oiseaux de mer le bruit du flot qui doucement se brisait), je devinais leur présence, j’entendais leur rire enveloppé comme celui des néréides dans le doux déferlement qui montait jusqu’à mes oreilles. «Nous avons regardé, me disait le soir Albertine, pour voir si vous descendriez. Mais vos volets sont restés fermés, même à l’heure du concert.» A dix heures, en effet, il éclatait sous mes fenêtres. Entre les intervalles des instruments, si la mer était pleine, reprenait, coulé et continu, le glissement de l’eau d’une vague qui semblait envelopper les traits du violon dans ses volutes de cristal et faire jaillir son écume au-dessus des échos intermittents d’une musique sous-marine. Je m’impatientais qu’on ne fût pas encore venu me donner mes affaires pour que je puisse m’habiller. Midi sonnait, enfin arrivait Françoise. Et pendant des mois de suite, dans ce Balbec que j’avais tant désiré parce que je ne l’imaginais que battu par la tempête et perdu dans les brumes, le beau temps avait été si éclatant et si fixe que quand elle venait ouvrir la fenêtre j’avais pu toujours sans être trompé, m’attendre à trouver le même pan de soleil plié à l’angle du mur extérieur, et d’une couleur immuable qui était moins émouvante comme un signe de l’été qu’elle n’était morne comme celle d’un émail inerte et factice. Et tandis que Françoise ôtait les épingles des impostes, détachait les étoffes, tirait les rideaux, le jour d’été qu’elle découvrait semblait aussi mort, aussi immémorial qu’une somptueuse et millénaire momie que votre vieille servante n’eût fait que précautionneusement désemmailloter de tous ses linges, avant de la faire apparaître, embaumée dans sa robe d’or. (JF)

 

Châtaignes ou oursins ? (observer, relier tout à tout)

Albertine me parlait peu, car elle sentait que j’étais préoccupé. Nous fîmes quelques pas à pied, sous la grotte verdâtre, quasi sous-marine, d’une épaisse futaie sur le dôme de laquelle nous entendions déferler le vent et éclabousser la pluie. J’écrasais par terre des feuilles mortes, qui s’enfonçaient dans le sol comme des coquillages, et je poussais de ma canne des châtaignes piquantes comme des oursins. Aux branches les dernières feuilles convulsées ne suivaient le vent que de la longueur de leur attache, mais quelquefois, celle-ci se rompant, elles tombaient à terre et le rattrapaient en courant. (CG)

Des asperges qui coûtent cher

(recourir à l’humour, relier à la culture)

[le duc de Guermantes] : Swann avait le toupet de vouloir nous faire acheter une Botte d’Asperges . Elles sont même restées ici quelques jours. Il n’y avait que cela dans le tableau, une botte d’asperges précisément semblables à celles que vous êtes en train d’avaler. Mais moi je me suis refusé à avaler les asperges de M. Elstir. Il en demandait trois cents francs. Trois cents francs une botte d’asperges! Un louis, voilà ce que ça vaut, même en primeurs! (CG)

 

 

Un « moi » météorologique (se connaître, inclure le temps)

 

Pendant quelques instants, et sachant qu’il me rendait plus heureux qu’Albertine, je restais en tête à tête avec le petit personnage intérieur, salueur chantant du soleil et dont j’ai déjà parlé. De ceux qui composent notre individu, ce ne sont pas les plus apparents qui nous sont le plus essentiels. En moi, quand la maladie aura fini de les jeter l’un après l’autre par terre, il en restera encore deux ou trois qui auront la vie plus dure que les autres, notamment un certain philosophe qui n’est heureux que quand il a découvert, entre deux œuvres, entre deux sensations, une partie commune. Mais le dernier de tous, je me suis quelquefois demandé si ce ne serait pas le petit bonhomme fort semblable à un autre que l’opticien de Combray avait placé derrière sa vitrine pour indiquer le temps qu’il faisait et qui, ôtant son capuchon dès qu’il y avait du soleil, le remettait s’il allait pleuvoir. Ce petit bonhomme-là, je connais son égoïsme : je peux souffrir d’une crise d’étouffements que la venue seule de la pluie calmerait, lui ne s’en soucie pas, et aux premières gouttes si impatiemment attendues, perdant sa gaîté, il rabat son capuchon avec mauvaise humeur. En revanche, je crois bien qu’à mon agonie, quand tous mes autres « moi » seront morts, s’il vient à briller un rayon de soleil tandis que je pousserai mes derniers soupirs, le petit personnage barométrique se sentira bien aise, et ôtera son capuchon pour chanter : « Ah ! enfin, il fait beau. »  (P)

 

Un très bel oiseau (observer, recourir à l’humour, relier tout à tout)

Même immobile, la couleur qui était la sienne plus que de tous les Guermantes, d’être seulement de l’ensoleillement d’une journée d’or devenue solide, lui donnait comme un plumage si étrange, faisait de lui une espèce si rare, si précieuse, qu’on aurait voulu la posséder pour une collection ornithologique ; mais quand, de plus, cette lumière changée en oiseau se mettait en mouvement, en action, quand par exemple je voyais Robert de Saint-Loup entrer dans une soirée où j’étais, il avait des redressements de sa tête si joyeusement et si fièrement huppée sous l’aigrette d’or de ses cheveux un peu déplumés, des mouvements de cou tellement plus souples, plus fiers et plus coquets que n’en ont les humains, que devant la curiosité et l’admiration moitié mondaine, moitié zoologique qu’il vous inspirait, on se demandait si c’était dans le faubourg Saint-Germain qu’on se trouvait ou au Jardin des Plantes et si on regardait un grand seigneur traverser un salon, ou se promener dans sa cage un merveilleux oiseau. (TR)

 

la suite demain :

LE DÉVELOPPEMENT PERSONNEL

 

"Comme une pastoure ses brebis"

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C
CQFD, chère Laurence !
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