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  le blog proustpourtous

Les réflexions d'une proustienne sur sa vie, et en quoi elle lui rappelle dans des épisodes du quotidien des passages de "A la recherche du temps perdu"

Les fans de Marcel Proust sanglotent d'émerveillement

Publié le 27 Novembre 2022 par proust pour tous

Alors que je travaille toujours à ma série "Le syndrome de Stella", dont l'idée m'est venue suite au syndrome de Stendhal que j'avais ressenti en lisant certaine phrase dans Combray II, et après avoir rencontré un jeune homme qui lui aussi avait éclaté en sanglots à la lecture de la phrase que je connais par coeur et que je dégaine à la première occasion (ce qui me vaut à chaque fois des applaudissements, même de réfractaires à ma passion proustienne):

Et comme dans ce jeu où les Japonais s’amusent à tremper dans un bol de porcelaine rempli d’eau, de petits morceaux de papier jusque-là indistincts qui, à peine y sont-ils plongés s’étirent, se contournent, se colorent, se différencient, deviennent des fleurs, des maisons, des personnages consistants et reconnaissables, de même maintenant toutes les fleurs de notre jardin et celles du parc de M. Swann, et les nymphéas de la Vivonne, et les bonnes gens du village et leurs petits logis et l’église et tout Combray et ses environs, tout cela qui prend forme et solidité, est sorti, ville et jardins, de ma tasse de thé.

J'ai demandé sur facebook aux Fans de Marcel Proust, un groupe de 18605 membres qui grossit tous les jours, si d'autres avaient éprouvé ce phénomène dont personne n'avait fait écho au mien. 

Voici quelques émouvantes réponses que j'ai obtenues:

J’ai ressenti à de nombreuses occasions le syndrome proustien particulièrement avec l’expression « gisement profond de mon sol mental » qui me met les larmes aux yeux à chaque fois comme en ce moment où une larme glisse sur ma joue gauche.

Je n'ai jamais pleuré en lisant Proust, peut-être parce que les hommes veulent mieux cacher leur sensibilité. .. en revanche, je suis bien incapable de décrire exactement ce que je ressens, une esthétique bien sûr, une musique, parfois une résonance, une addiction très certainement. Quelle belle patientèle aurait pu se faire Freud dans ce groupe !

J'ai ressenti ce syndrome à Florence (pas très original 😀), j'ai du m'asseoir par terre sous la pluie. Et en lisant Marcel, et aussi particulièrement Combray, les scènes du baiser du soir et la rencontre avec les aubépines, m'ont mise dans un état de choc absolu face à tant de beauté et de sensibilité. Rien que d'y penser en fait je peux avoir les larmes aux yeux et le coeur qui palpite tellement c'est beau...

En y réfléchissant bien moi , aujourd’hui je réalise enfin comment j’en suis venu naturellement à Proust sur le tard ouf pas trop tard : étant très sensible , longtemps j’ai pleuré comme une madeleine !!!!! Sans passer par un psy , soudain , Fiat lux , la lumière est ( je roule en Fiat oui ) quel délicieux syndrome là aussi car , découvrant Proust , je me mis à le dévorer et à me gaver de ses madeleines et depuis , oh miracle , je pleure bien moins souvent !

C'est le choc de la révélation de l'essentiel, par delà le temps, qui produit ce frisson esthétique...

Je t’en ai fait part Laurence, il y a bien longtemps, quand je t’ai rencontrée, la première fois, dans une salle au sous-sol d’un café, boulevard Saint-Germain, où tu avais organisé une rencontre de Proustiens. Il y avait ce jour là une de tes amies, une actrice, à qui tu avais demandé de lire des passages de La Recherche, et tu as proposé ensuite aux personnes présentes, si elles le désiraient, de le faire également. J’ai récité de mémoire. Mais, quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir. et me suis senti emporté, ou plutôt transporté par mes sanglots, devant l’assistance réunie.

 moi aussi j’ai pleuré . Une seule fois . C’est quand il reçoit la lettre de Mme Bontemps lui apprenant la mort d’Albertine 😱🥲🥲🥲et surtout quand il reçoit , juste après , la lettre d’Albertine ( arrivée en retard ) lui disant qu’il suffirait qu’il le lui ordonne pour qu’elle retourne vivre chez lui 

Je ne me souviens pas avoir pleuré, et je n'ai pas compris immédiatement ce qui se passait, mais durant les quelques jours suivants j'ai eu petit à petit la sensation que je venais de vivre un moment historique et que ma vie allait en être profondément changée. C'était une sorte de déflagration esthétique, philosophique, j'avais découvert un continent entier et une vie n'allait pas être de trop pour en visiter tous les recoins.

 

Ce syndrome de Stendhal, je l'éprouve avec intensité quand je lis le portrait d'Albertine endormie, fait par le Narrateur et qui se termine ainsi : "Je m'étais embarqué sur le sommeil d'Albertine." "Plante", "zéphyr marin" de son souffle, évocation de sa chevelure au travers des "tableaux raphaëlesques d'Elstir", "doux nid d'alcyon" de ses paupières, toutes ces images de la belle endormie métamorphosent l'amour du Narrateur "en quelque chose d'aussi pur, d'aussi immatériel, d'aussi mystérieux que si [il] avai[t] été devant les créatures inanimées que sont les beautés de la nature".
 
Moi, ce qui m'émeut le plus, c'est lorsque Proust, en défaisant ses chaussures, réalise pour la première fois que sa grand-mère est morte. 
Bouleversement de toute ma personne. Dès la première nuit, comme je souffrais d'une crise de fatigue cardiaque, tâchant de dompter ma souffrance, je me baissai avec lenteur et prudence pour me déchausser. Mais à peine eus-je touché le premier bouton de ma bottine, ma poitrine s'enfla, remplie d'une présence inconnue, divine, des sanglots me secouèrent, des larmes ruisselèrent de mes yeux. L'être qui venait à mon secours, qui me sauvait de la sécheresse de l'âme, c'était celui qui, plusieurs années auparavant, dans un moment de détresse et de solitude identiques, dans un moment où je n'avais plus rien de moi, était entré, et qui m'avait rendu à moi-même, car il était moi et plus que moi (le contenant qui est plus que le contenu et me l'apportait). Je venais d'apercevoir, dans ma mémoire, penché sur ma fatigue, le visage tendre, préoccupé et déçu de ma grand-mère.
 
Je sanglote chaque fois, je dis bien chaque fois, que je lis Proust à voix haute. Mais seuls certains passages me donnent envie de les lire à voix haute. Souvent même, il suffit de m'imaginer réciter le passage que je suis en train de lire en silence pour que les larmes arrivent. Je ne cherche pas à m'imaginer réciter le texte, cela vient tout seul au bout d'un moment.
Il y a deux jours, en lisant le passage qui inclut "ta" phrase, j'ai encore fait "comme si" je le disais à des amis et ça n'a pas loupé. J'ai mis de longues minutes à essuyer mes larmes. Oui, le "pan lumineux", les "trois arbres d'Hudimesnil", les "invisibles et persistants lilas"... Et d'autres... Et pas que des passages de La Recherche. Dans "Les Plaisirs et les Jours" il y a cet "Eloge de la mauvaise musique" qui finit par :
"Un cahier de mauvaises romances, usé pour avoir trop servi, doit nous toucher comme un cimetière ou comme un village. Qu'importe que les maisons n'aient pas de style, que les tombes disparaissent sous les inscriptions et les ornements de mauvais goût. De cette poussière peut s'envoler, devant une imagination assez sympathique et respectueuse pour taire un moment ses dédains esthétiques, la nuée des âmes tenant au bec le rêve encore vert qui leur faisait pressentir l'autre monde, et jouir ou pleurer dans celui-ci."
 
J'ai vécu une réaction semblable en lisant les tous premiers mots'' Longtemps, je me suis couché de bonne heure'' comme si je ne comprenais pas ce que je lisais ! J'ai relu une deuxième fois et encore ces mots si simples me devenaient une énigme!...
 
 
Comme Tessa, je pleure tout le temps en lisant et en écoutant Proust : pour la splendeur d'une description, pour la furieuse intelligence d'une analyse, pour son infinie bonté, pour tant et tant de choses ! Comme Catherine, "je m'étais embarqué sur le sommeil d'Albertine" me fait chaque fois sangloter et les "papiers japonais" et tant d'autres passages ! Et parfois, je pleure de rire aussi !

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R
Magnifique collection de témoignages de proustiens atteints du syndrome de Stendhal !
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