Alors que je travaille toujours à ma série "Le syndrome de Stella", dont l'idée m'est venue suite au syndrome de Stendhal que j'avais ressenti en lisant certaine phrase dans Combray II, et après avoir rencontré un jeune homme qui lui aussi avait éclaté en sanglots à la lecture de la phrase que je connais par coeur et que je dégaine à la première occasion (ce qui me vaut à chaque fois des applaudissements, même de réfractaires à ma passion proustienne):
Et comme dans ce jeu où les Japonais s’amusent à tremper dans un bol de porcelaine rempli d’eau, de petits morceaux de papier jusque-là indistincts qui, à peine y sont-ils plongés s’étirent, se contournent, se colorent, se différencient, deviennent des fleurs, des maisons, des personnages consistants et reconnaissables, de même maintenant toutes les fleurs de notre jardin et celles du parc de M. Swann, et les nymphéas de la Vivonne, et les bonnes gens du village et leurs petits logis et l’église et tout Combray et ses environs, tout cela qui prend forme et solidité, est sorti, ville et jardins, de ma tasse de thé.
J'ai demandé sur facebook aux Fans de Marcel Proust, un groupe de 18605 membres qui grossit tous les jours, si d'autres avaient éprouvé ce phénomène dont personne n'avait fait écho au mien.
Voici quelques émouvantes réponses que j'ai obtenues:
J’ai ressenti à de nombreuses occasions le syndrome proustien particulièrement avec l’expression « gisement profond de mon sol mental » qui me met les larmes aux yeux à chaque fois comme en ce moment où une larme glisse sur ma joue gauche.
Je n'ai jamais pleuré en lisant Proust, peut-être parce que les hommes veulent mieux cacher leur sensibilité. .. en revanche, je suis bien incapable de décrire exactement ce que je ressens, une esthétique bien sûr, une musique, parfois une résonance, une addiction très certainement. Quelle belle patientèle aurait pu se faire Freud dans ce groupe !
J'ai ressenti ce syndrome à Florence (pas très original ), j'ai du m'asseoir par terre sous la pluie. Et en lisant Marcel, et aussi particulièrement Combray, les scènes du baiser du soir et la rencontre avec les aubépines, m'ont mise dans un état de choc absolu face à tant de beauté et de sensibilité. Rien que d'y penser en fait je peux avoir les larmes aux yeux et le coeur qui palpite tellement c'est beau...
En y réfléchissant bien moi , aujourd’hui je réalise enfin comment j’en suis venu naturellement à Proust sur le tard ouf pas trop tard : étant très sensible , longtemps j’ai pleuré comme une madeleine !!!!! Sans passer par un psy , soudain , Fiat lux , la lumière est ( je roule en Fiat oui ) quel délicieux syndrome là aussi car , découvrant Proust , je me mis à le dévorer et à me gaver de ses madeleines et depuis , oh miracle , je pleure bien moins souvent !
C'est le choc de la révélation de l'essentiel, par delà le temps, qui produit ce frisson esthétique...
Je t’en ai fait part Laurence, il y a bien longtemps, quand je t’ai rencontrée, la première fois, dans une salle au sous-sol d’un café, boulevard Saint-Germain, où tu avais organisé une rencontre de Proustiens. Il y avait ce jour là une de tes amies, une actrice, à qui tu avais demandé de lire des passages de La Recherche, et tu as proposé ensuite aux personnes présentes, si elles le désiraient, de le faire également. J’ai récité de mémoire. Mais, quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir. et me suis senti emporté, ou plutôt transporté par mes sanglots, devant l’assistance réunie.
moi aussi j’ai pleuré . Une seule fois . C’est quand il reçoit la lettre de Mme Bontemps lui apprenant la mort d’Albertine et surtout quand il reçoit , juste après , la lettre d’Albertine ( arrivée en retard ) lui disant qu’il suffirait qu’il le lui ordonne pour qu’elle retourne vivre chez lui
Je ne me souviens pas avoir pleuré, et je n'ai pas compris immédiatement ce qui se passait, mais durant les quelques jours suivants j'ai eu petit à petit la sensation que je venais de vivre un moment historique et que ma vie allait en être profondément changée. C'était une sorte de déflagration esthétique, philosophique, j'avais découvert un continent entier et une vie n'allait pas être de trop pour en visiter tous les recoins.
Xavier Gallais lit Proust: LE TEMPS RETROUVÉ
Extrait de "Le Temps retrouvé" suivi de la madeleine dans "Du côté de chez Swann"