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  le blog proustpourtous

Les réflexions d'une proustienne sur sa vie, et en quoi elle lui rappelle dans des épisodes du quotidien des passages de "A la recherche du temps perdu"

Dînez avec Proust demain mardi 30 avril 2024, à 18h 30: un dialogue très drôle

Publié le 29 Avril 2024 par proust pour tous

Dans le tortillard

J'apporterai ce complément de dialogues, pour nos habitués et les autres, surtout pour ceux qui aiment aussi Balzac:

 

Dans le tortillard qui conduit les fidèles à La Raspelière

(Sodome et Gomorrhe)

 

 

MARCEL (en regardant la belle reliure du Balzac de Charlus) : Que préférez-vous dans La Comédie humaine?

CHARLUS : Tout l'un ou tout l'autre, les petites miniatures comme Le Curé de Tours et La Femme abandonnée, ou les grandes fresques comme la série des Illusions perdues. Comment ! vous ne connaissez pas Les Illusions perdues ? C'est si beau, le moment où Carlos Herrera demande le nom du château devant lequel passe sa calèche : c'est Rastignac, la demeure du jeune homme qu'il a aimé autrefois. Et l'abbé alors de tomber dans une rêverie que Swann appelait, ce qui était bien spirituel, la Tristesse d'Olympio de la pédérastie. Et la mort de Lucien ! je ne me rappelle plus quel homme de goût avait eu cette réponse, à qui lui demandait quel événement l'avait le plus affligé dans sa vie : “La mort de Lucien de Rubempré dans Splendeurs et misères.”

Ski, Brichot et Cottard s'étaient regardés avec un sourire peut-être moins ironique qu'empreint de la satisfaction qu'auraient des dîneurs qui réussiraient à faire parler Dreyfus de sa propre affaire, ou l'Impératrice de son règne.

BRICHOT : Je sais que Balzac se porte beaucoup cette année, comme l'an passé le pessimisme. Mais au risque de contrister les âmes en mal de déférence balzacienne, sans prétendre, Dieu me damne ! au rôle de gendarme de lettres et dresser procès-verbal pour fautes de grammaire, j'avoue que le copieux improvisateur dont vous me semblez surfaire singulièrement les élucubrations effarantes, m'a toujours paru un scribe insuffisamment méticuleux. J'ai lu ces Illusions perdues dont vous nous parlez, baron, en me torturant pour atteindre à une ferveur d'initié, et je confesse en toute simplicité d'âme que ces romans-feuilletons rédigés en pathos, en galimatias double et triple (« Esther heureuse », « Où mènent les mauvais chemins », « À combien l'amour revient aux vieillards »), m'ont toujours fait l'effet des mystères de Rocambole, promu par inexplicable faveur à la situation précaire de chef-d'œuvre.

CHARLUS : Vous dites cela parce que vous ne connaissez pas la vie.

BRICHOT : J'entends bien que, pour parler comme maître François Rabelais, vous voulez dire que je suis moult sorbonagre, sorbonicole et sorboniforme. Pourtant tout autant que les camarades, j'aime qu'un livre donne l'impression de la sincérité et de la vie, je ne suis pas de ces clercs…

COTTARD : Le quart d'heure de Rabelais, interrompit le docteur Cottard avec un air non plus de doute, mais de spirituelle assurance.

BRICHOT : … qui font vœu de littérature en suivant la règle de l'Abbaye-aux-Bois dans l'obédience de M. le vicomte de Chateaubriand, grand maître du chiqué, selon la règle stricte des humanistes. M. le vicomte de Chateaubriand…

COTTARD :  Chateaubriand aux pommes ?

BRICHOT : – C'est lui le patron de la confrérie.

 sans relever la plaisanterie du docteur, lequel en revanche, alarmé par la phrase de l'universitaire, regarde M. de Charlus avec inquiétude. Brichot avait semblé manquer de tact à Cottard, duquel le calembour avait amené un fin sourire sur les lèvres de la princesse Sherbatoff.

LA PRINCESSE SHERBATOFF  (par amabilité pour Cottard): Avec le professeur, l'ironie mordante du parfait sceptique ne perd jamais ses droits 

COTTARD :  Le sage est forcément sceptique. Que sais-je ? disait Socrate. C'est très juste, l'excès en tout est un défaut. Mais je reste bleu quand je pense que cela a suffi à faire durer le nom de Socrate jusqu'à nos jours. Qu'est-ce qu'il y a dans cette philosophie ? peu de chose en somme. Quand on pense que Charcot et d'autres on fait des travaux mille fois plus remarquables et qui s'appuient, au moins, sur quelque chose, sur la suppression du réflexe pupillaire comme syndrome de la paralysie générale, et qu'ils sont presque oubliés ! En somme Socrate, ce n'est pas extraordinaire. Ce sont des gens qui n'avaient rien à faire, qui passaient toute leur journée à se promener, à discutailler. C'est comme Jésus-Christ : Aimez-vous les uns les autres, c'est très joli.

MME COTTARD : Mon ami…,

COTTARD : Naturellement, ma femme proteste, ce sont toutes des névrosées.

MME COTTARD (en murmurant):  –Mais, mon petit docteur, je ne suis pas névrosée.

COTTARD : Comment, elle n'est pas névrosée ? quand son fils est malade, elle présente des phénomènes d'insomnie. Mais enfin je reconnais que Socrate et le reste, c'est nécessaire pour une culture supérieure, pour avoir des talents d'exposition. Je cite toujours le “Que sais-je ?” à mes élèves pour le premier cours. Le père Bouchard qui l'a su m'en a félicité.

BRICHOT : – Je ne suis pas des tenants de la forme pour la forme, pas plus que je ne thésauriserais en poésie la rime millionnaire, reprit Brichot. Mais tout de même La Comédie humaine – bien peu humaine – est par trop le contraire de ces œuvres  où l'art excède le fond, comme dit cette bonne rosse d'Ovide. Et il est permis de préférer un sentier à mi-côte, qui mène à la cure de Meudon ou à l'ermitage de Ferney, à égale distance de la Vallée-aux-Loups où René remplissait superbement les devoirs d'un pontificat sans mansuétude, et des Jardies où Honoré de Balzac harcelé par les recors, ne s'arrêtait pas de cacographier pour une Polonaise, en apôtre zélé du charabia.

CHARLUS : Chateaubriand est beaucoup plus vivant que vous ne dites, et Balzac est tout de même un grand écrivain.

 

A demain donc au Petit Flore, 6 rue Croix des Petits Champs vers 18 h 30

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Suivre vos activités (même de loin, quand nous faisons réparer des articulations qui nous permettront, un jour, nous l'espérons, d'y participer de plus près) est toujours un enchantement, MERCI ! Merci pour cet instant irrésistible, à nouveau partagé avec vous tous dans "le petit train de la Rasperlière",à défaut de vous rejoindre au Petit Flore, demain, CONTINUEZ...
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