Tout d’un coup dans le petit chemin creux, je m’arrêtai touché au coeur par un doux souvenir d’enfance, je venais de reconnaître aux feuilles découpées et brillantes qui s’avançaient sur le seuil, un buisson d’aubépines défleuries, hélas, depuis la fin du printemps. Autour de moi flottait une atmosphère d’anciens mois de Marie, d’après-midi du dimanche, de croyances, d’erreurs oubliées. J’aurais voulu la saisir. Je m’arrêtai une seconde et Andrée, avec une divination charmante, me laissa causer un instant avec les feuilles de l’arbuste. Je leur demandai des nouvelles des fleurs, ces fleurs de l’aubépine pareilles à des gaies jeunes filles étourdies, coquettes et pieuses. «Ces demoiselles sont parties depuis déjà longtemps», me disaient les feuilles. Et peut-être pensaient-elles que pour le grand ami d’elles que je prétendais être, je ne semblais guère renseigné sur leurs habitudes. Un grand ami, mais qui ne les avais pas revues depuis tant d’années malgré ses promesses. Et pourtant comme Gilberte avait été mon premier amour pour une jeune fille, elles avaient été mon premier amour pour une fleur. «Oui, je sais, elles s’en vont vers la mi-juin, répondis-je, mais cela me fait plaisir de voir l’endroit qu’elles habitaient ici. Elles sont venues me voir à Combray dans ma chambre, amenées par ma mère quand j’étais malade. Et nous nous retrouvions le samedi soir au mois de Marie. Elles peuvent y aller ici?» «Oh! naturellement! Du reste on tient beaucoup à avoir ces demoiselles à l’église de Saint-Denis du Désert, qui est la paroisse la plus voisine.» «Alors maintenant pour les voir?» «Oh! pas avant le mois de mai de l’année prochaine.» «Mais je peux être sûr qu’elles seront là?» «Régulièrement tous les ans.» «Seulement je ne sais pas si je retrouverai bien la place.» «Que si! ces demoiselles sont si gaies, elles ne s’interrompent de rire que pour chanter des cantiques, de sorte qu’il n’y a pas d’erreur possible et que du bout du sentier vous reconnaîtrez leur parfum.»
A l'ombre des jeunes filles en fleurs, II
Suddenly, in the little sunken path, I stopped short, touched to the heart by an exquisite memory of my childhood. I had just recognised, by the fretted and glossy leaves which it thrust out towards me, a hawthorn-bush, flowerless, alas, now that spring was over. Around me floated the atmosphere of far-off Months of Mary, of Sunday afternoons, of beliefs, or errors long ago forgotten. I wanted to stay it in its passage. I stood still for a moment, and Andrée, with a charming divination of what was in my mind, left me to converse with the leaves of the bush. I asked them for news of the flowers, those hawthorn flowers that were like merry little girls, headstrong, provocative, pious. “The young ladies have been gone from here for a long time now,” the leaves told me. And perhaps they thought that, for the great friend of those young ladies that I pretended to be, I seemed to have singularly little knowledge of their habits. A great friend, but one who had never been to see them again for all these years, despite his promises. And yet, as Gilberte had been my first love among girls, so these had been my first love among flowers. “Yes, I know all that, they leave about the middle of June,” I answered, “but I am so delighted to see the place where they stayed when they were here. They came to see me, too, at Combray, in my room; my mother brought them when I was ill in bed. And we used to meet on Saturday evenings, too, at the Month of Mary devotions. Can they get to them from here?” “Oh, of course! Why, they make a special point of having our young ladies at Saint-Denis du Désert, the church near here.” “Then, if I want to see them now?” “Oh, not before May, next year.” “But I can be sure that they will be here?” “They come regularly every year.” “Only I don’t know whether it will be easy to find the place.” “Oh, dear, yes! They are so gay, the young ladies, they stop laughing only to sing hymns together, so that you can’t possibly miss them, you can tell by the scent from the other end of the path.”
Within a Budding Grove, II