jeudi 29 novembre 2007: Elise, la fille de Lydie, amie de Jahida, fait des études de costumière. Elle doit présenter un projet de vêtement historique ou provenant d'un personnage de roman. Je lui conseille de chercher dans A la recherche du temps perdu, car de nombreuses robes ou atours y sont décrits.
On eût dit que la duchesse avait deviné que sa cousine, dont elle raillait, disait-on, ce qu'elle appelait les exagérations (nom que de son point de vue spirituellement français et tout modéré prenaient vite la poésie et l'enthousiasme germaniques), aurait ce soir une de ces toilettes où la duchesse la trouvait "costumée", et qu'elle avait voulu lui donner une leçon de goût. Au lieu des merveilleux et doux plumages qui de la tête de la princesse descendaient jusqu'à son cou, au lieu de sa résille de coquillages et de perles, la duchesse n'avait dans les cheveux qu'une simple aigrette qui, dominant son nez busqué et ses yeux à fleur de tête, avait l'air de l'aigrette d'un oiseau. Son cou et ses épaules sortaient d'un flot de mousseline sur lequel venait battre un éventail en plumes de cygne, mais ensuite la robe, dont le corsage avait pour seul ornement d'innombrables paillettes soit de métal, en baguettes et en grains, soit de brillants, moulait son corps avec une précidion toute britannique. Mais si différentes que les deux toilettes fussent l'une de l'autre, après que la princesse eut donné à sa cousine la chaise qu'elle occupait jusque-là, on les vit, se retournant l'une vers l'autre, s'admirer réciproquement.
Le côté de Guermantes, I
mercredi 28 novembre 2007: Venant d'apprendre un cancan sur un vieil ami qui aurait divorcé dans les conditions les pires de rage et de fureur, je me suis précipitée pour le raconter à ma mère.
Malgré tout, bien différentes en cela de ce que j'avais pu ressentir devant les aubépines ou en goûtant à une madeleine, les histoires que j'avais entendues chez la duchesse m'étaient étrangères. Entrées un instant en moi, qui n'en étais que physiquement possédé, on aurait dit que (de nature sociale et non individuelle) elles étaient impatientes d'en sortir. Je m'agitais dans la voiture, comme une pythonisse. J'attendais un nouveau dîner où je pusse devenir moi-même une sorte de prince X, de Mme de Guermantes, et les raconter.
Le côté de Guermantes, II,II
mardi 27 novembre 2007: Ma fille Gigi se sert des scènes épiques de disputes familiales, de rancoeur filiale, de désespoir transatlantique, de menaces vertueuses, pour écrire son roman. Mais elle a beaucoup de peine: tant mieux, l'inspiration s'en nourrit ! et Gigi a beaucoup de talent...
le bonheur seul est salutaire pour le corps; mais c'est le chagrin qui développe les forces de l'esprit. D'ailleurs, ne nous découvrît-il pas à chaque fois une loi, qu'il n'en serait pas moins indispensable pour nous remettre chaque fois dans la vérité, nous forcer à prendre les choses au sérieux, arrachant à chaque fois les mauvaises herbes de l'habitude, du scepticisme, de la légèreté, de l'indifférence. Il est vrai que cette vérité, qui n'est pas compatible avec le bonheur, avec la santé, ne l'est pas toujours avec la vie. Le chagrin tue.
Le Temps retrouvé
dimanche 25 novembre 2007: Hier soir, à une fête chez Frédérique, j'ai essayé d'être drôle, mais je crois que j'en ai fait un peu trop; je m'en suis bien rendue compte lorsque j'ai vu les rires se figer en baillements. J'aurais préféré qu'on se souvînt de mes plaisanteries comme de celles d'Oriane, duchesse de Guermantes:
Le "mot" se mangeait encore froid le lendemain à déjeuner, entre intimes qu'on invitait pour cela, et reparaissait sous diverses sauces pendant une semaine.
Le côté de Guermantes, II, II
jeudi 22 novembre 2007: quelqu'un à la radio vient de parler des géants plongés dans le temps, sans citer la référence de cette métaphore, et j'étais toute contente de reconnaître la fin de A la recherche du temps perdu:
Je m'effrayais que les miennes [mes vivantes échasses] fussent déjà si hautes sous mes pas, il ne me semblait pas que j'aurais encore la force de maintenir longtemps attaché ce passé qui descendait déjà si loin. Aussi, si elle m'était laissée assez longtemps pour accomplir mon oeuvre, ne manquerais-je pas d'abord d'y décrire les hommes, cela dût-il les faire ressembler à des êtres monstrueux, comme occupant une place si considérable, à côté de celle si restreinte qui leur est réservée dans l'espace, une place au contraire prolongée sans mesure puisqu'ils touchent simultanément, comme des géants plongés dans les années à des époques, vécues par eux si distantes, entre lesquelles tant de jours sont venus se placer - dans le Temps.
FIN
Le Temps retrouvé
mercredi 21 novembre 2007: Pour continuer sur la lecture, voici ce que mon père essaie d'apprendre par coeur ce matin: ce n'est pas du Proust, mais du Montesquieu. Mais dans la recherche, le narrateur cite-t'il le nom de Montesquieu ? Oui, 3 fois:
Montesquieu:
L'étude a été pour moi le souverain remède contre les dégoûts de la vie, n'ayant jamais eu de chagrin qu'une heure de lecture n'ait dissipé.
Il ya des morceaux de Turner dans l'oeuvre de Poussin, une phrase de Flaubert dans Montesquieu.
Et il (Brichot) ne manquait jamais, avec un sourire, d'appeler Montesquieu, quand il parlait de lui: " Monsieur le président Secondat de Montesquieu."
M. de Chevregny n'en usait pas ainsi, il disait Cornaglia et Dehelly, comme il eût dit Voltaire et Montesquieu.
Sodome et Gomorrhe, II
mardi 20 novembre 2007: J'ai lu un article dans le New York Times de ce matin sur la corrélation entre le nombre de livres que l'on trouve chez une famille et les résultats scolaires chez les enfants de cette même famille: la perte de l'amour de la lecture est une catastrophe: si seulement nos jeunes pouvaient apprécier les romans autant que le faisait Marcel ?
Si mes parents m'avaient permis, quand je lisais un livre, d'aller visiter la région qu'ils décrivaient, j'aurais cru faire un pas inestimable dans la conquête de la vérité. Car si on a la sensation d'être toujours entouré de son âme, ce n'est pas comme d'une prison immobile; plutôt on est comme emporté avec elle dans un perpétuel élan pour la dépasser, pour atteindre à l'extérieur, avec une sorte de découragement, entendant toujours autour de soi cette sonorité identique qui n'est pas écho du dehors mais retentissement d'une vibration interne. On cherche à retrouver dans les choses, devenues par là précieuses, le reflet que notre âme a projeté sur elles, on est déçu en constatant qu'elles semblent dépourvues dans la nature, du charme qu'elles devaient, dans notre pensée, au voisinage de certaines idées ...
Du côté de chez Swann, I, II
samedi 17 novembre 2007: La soirée Beaujolais chez Joyce était très réussie et son ami Marc m'a demandé de lui citer quelques mots de Proust: les plus connus sont ceux du début de A la recherche du temps perdu:
Longtemps je me suis couché de bonne heure. Parfois, à peine ma bougie
éteinte, mes yeux se fermaient si vite que je n'avais pas le temps de me dire: "Je m'endors". Et, une demi-heure après, la pensée qu'il était temps de chercher le sommeil m'éveillait; je voulais
poser le volume que je croyais avoir encore dans les mains et souffler ma lumière; je n'avais pas cessé en dormant de faire des réflexions sur ce que je venais de lire, mais ces réflexions
avaient pris un tour un peu particulier; il me semblait que j'étais moi-même ce dont parlait l'ouvrage: un église, un quatuor, la rivalité de François Ier et de Charles
Quint...
Du côté de chez Swann, Première partie : Combray
proustpourtous.com
vendredi 16 novembre 2007: Je dois rembourser une amie qui est très pressée, alors que je pensais avoir plus de temps. Mais j'ai bien peur que la citation de Mme de Sévigné ne s'applique à moi: tant pis, tout s'arrangera, lors que je ferai mon spectacle au théâtre du Petit Montparnasse.
Tâche, continua Maman, de ne pas devenir comme Charles de Sévigné, dont
sa mère disait: "Sa main est un creuset où l'argent fond."
Sodome et Gomorrhe, II, III
jeudi 15 novembre 2007: Hier soir je suis allée avec Sasha à l'ouverture, au Carrousel du Louvre, de "Paris-photos". Sasha m'a montré sur pièce ce qu'elle considérait des bonnes photos, et m'a ouvert les yeux. Parmi ses photographes préférés, André Kertesz, qui avait vécu dans le même immeuble qu'elle à New York, et dont elle a même un original.
De nombreuses allusions ou métaphores de la recherche, s'attachent à la photographie:
Il en est des plaisirs comme des photographies. Ce qu’on prend en
présence de l’être aimé, n’est qu’un cliché négatif, on le développe plus tard, une fois chez soi, quand on a retrouvé à sa disposition cette chambre noire intérieure dont l’entrée est condamnée
tant qu’on voit du monde.
A l'ombre des jeunes filles en fleurs II
mercredi 14 novembre 2007: Nous écoutions, mon fils PiBi et moi, dans la voiture, le deuxième mouvement "allegreto" de la 7ème symphonie de Beethoven. Et ce mouvement lui fit monter les larmes aux yeux, larmes qu'il essuya en s'excusant, et en s'expliquant sur ce morceau si triste, qui lui faisait penser à son père qui a tout perdu. Telle la sonate de Vinteuil au moment où elle rappelle à Swann l'amour perdu d'Odette:
Mais tout à coup ce fut comme si elle était entrée, et cette apparition lui fut une si déchirante souffrance qu'il dut porter la main à son coeur. C'est que le violon était monté à des notes hautes où il restait comme pour une attente, une attente qui se prolongeait sans qu'il cessât de les tenir, dans l'exaltation où il était d'apercevoir déjà l'objet de son attente qui s'approchait, et avec un effort désespéré pour tâcher de durer jusqu'à son arrivée, de l'accueillir avant d'expirer, de lui maintenir encore un moment de toutes ses dernières forces le chemin ouvert pour qu'il pût y passer, comme on soutient une porte qui sans cela retomberait. Et avant que Swann eût eu le temps de comprendre, et de se dire: "C'est la petite phrase de la sonate de Vinteuil, n'écoutons pas!"tous les souvenirs du temps où Odette était éprise de lui, et qu'il avait réussi jusqu'à ce jour à maintenir invisibles dans les profondeurs de son être, trompés par ce brusque rayon du temps d'amour qu'ils crurent revenu, s'étaient réveillés et, à tire-d'aile, étaient remontés lui chanter éperdûment, sans pitié pour son infortune présente, les refrains oubliés du bonheur.
Du côté de chez Swann, II
proustpourtous.com
samedi 10 novembre 2007: Angie m'a encore aidé: une citation de Proust, dont je ne connais pas l'origine: "Ne pas la comprendre n'a jamais fait trouver une plaisanterie moins drôle".
Je vais mettre cette maxime en pratique, avec un passage que je trouve très drôle (surtout ce nom de "Mirougrain"):
Ainsi pour peu que leurs randonnées à travers la France leur eussent fait connaître un peu le pays de Combray, en voyant que Mme L. de Méséglise, que le comte de Méséglise faisaient part dans les premiers, et tout près du duc de Guermantes, ils auraient pu n'éprouver aucun étonnement: le côté de Méséglise et le côté de Guermantes se touchent. "Vieille noblesse de la même région, peut-être alliée depuis des générations, eussent-ils pu se dire. Qui sait? c'est peut-être une branche des Guermantes qui porte le nom de comtes de Méséglise." Or le comte de Méséglise n'avait rien à voir avec les Guermantes et ne faisait même pas part du côté Guermantes, mais du côté Cambremer, puisque le comte de Méséglise, qui par un avancement rapide, n'était resté que deux ans Legrandin de Méséglise, c'était notre vieil ami Legrandin. Sans doute faux titre pour faux titre, il en était peu qui eussent pu être aussi désagréables aux Guermantes que celui-là. Ils avaient été alliés autrefois avec les vrais comtes de Méséglise, desquels il ne restait plus qu'une femme, fille de gens obscurs et dégradés, mariée elle-même à un gros fermier enrichi de ma tante qui lui avait acheté Mirougrain et, nommé Ménager, se faisait appeler maintenant Ménager de Mirougrain, de sorte que quand on disait que sa femme était née de Méséglise, on pensait qu'elle devait être plutôt née à Méségise et qu'elle était de Méséglise comme son mari de Mirougrain. "
Albertine disparue, IV
proustpourtous.com
vendredi 9 novembre 2007: Mon frère Loulou est parti avec toute sa famille pour un long week-end à Venise, et je me demande si sa mère parlera à sa fille Momo (la femme de Loulou) comme la mère du narrateur lui parlait de sa grand-mère:
Le soleil était encore haut dans le ciel quand j'allais retrouver ma mère sur la Piazzetta. Nous appelions une gondole. "Comme ta pauvre grand-mère eût aimé cette grandeur simple!" me disait maman en montrant le palais ducal qui considérait la mer avec la pensée que lui avait confiée son architecte et qu'il gardait fidèlement, dans la muette attente des doges disparus."Elle aurait même aimé la douceur de ces teintes roses, parce qu'elle est sans mièvrerie. Comme ta grand-mère aurait aimé Venise, et quelle familiarité qui peut rivaliser avec celle de la nature elle aurait trouvé dans toutes ces beautés si pleines de choses qu'elles n'ont besoin d'aucun arrangement, qu'elles se présentent telles quelles, le palais ducal dans sa forme cubique, les colonnes que tu dis être celles du palais d'Hérode, en pleine Piazetta, et encore moins placés, mis là comme faute d'autre endroit, les piliers de Saint-Jean-d'Acre, et ces chevaux au balcon de Saint-Marc! Ta grand-mère aurait eu autant de plaisir à voir le soleil se coucher sur le palais des doges que sur une montagne."
Albertine disparue, III
mercredi 7 novembre 2007: Je viens de lire dans le New York Times qu'une société de commerce électronique chinoise venait d'obtenir une quotation très élevée à la bourse de Hong-kong, faisant d'elle un géant de l'Internet presque à l'égal de Google. Son nom: Alibaba.com.
Or "les mille et unes nuits" est le roman le plus cité de la recherche. La première évocation de ce récit oriental: des assiettes illustrées, comme je les ai tant admirées dans mon enfance, et comme je les aime encore maintenant. Joyce vient de m'en offrir 6 qui représentent toutes sortes de recettes: ce soir j'ai pris mon dessert sur l'assiette "galette des rois".
Son déjeuner lui était une distraction suffisante pour qu'elle n'en souhaitât pas une autre en même temps. " Vous n'oublierez pas au moins de me donner mes oeufs à le crème dans une assiette plate?" C'étaient les seules qui fussent ornées de sujets, et ma tante s'amusait à chaque repas à lire la légende de celle qu'on lui servait ce jour-là. Elle mettait ses lunettes, déchiffrait: Ali-Baba et les quarante voleurs, Aladin ou la Lampe merveilleuse, et disait en souriant: "Très bien, très bien."
Du côté de chez Swann, I, II
mardi 6 novembre 2007: A quoi sert la culture ? Je me pose souvent la question, et nous en discutons ce matin au café. Encore une conversation qui va ébranler les chaumières de Sceaux ! (en fait ma réflexon vient d'une interview de Philippe Sollers à la radio, dans laquelle il disait qu'on baignait à l'heure actuelle dans un océan d'inculture et d'ignardise)
Certes, il est légitime que l'homme qui rédige des rapports, aligne des chiffres, répond à des lettres d'affaires, suit les cours de la Bourse, éprouve quand il vous dit en ricanant: "C'est bon pour vous qui n'avez rien à faire", un agréable sentiment de sa supériorité. Mais celle-ci s'affirmerait tout aussi dédaigneuse, davantage même (car dîner en ville, l'homme occupé le fait aussi), si votre divertissement était d'écrire "Hamlet" ou seulement de le lire. En quoi les hommes occupés manquent de réflexion. Car la culture désintéressée, qui leur paraît comique passe-temps d'oisifs quand ils la surprennent au moment qu'on la pratique, ils devraient songer que c'est la même qui dans leur propre métier met hors de pair des hommes qui ne sont peut-être pas meilleurs magistrats ou administrateurs qu'eux, mais devant l'avancement rapide desquels il s'inclinent en disant: "Il paraît que c'est un grand lettré, un individu tout à fait distingué."
Sodome et Gomorrhe, II, III
lundi 5 novembre 2007: Je me pépare à inviter une quarantaine d'amis pour un déjeuner du 11 novembre, et je me demande s'il ne faudrait pas une sorte d'"aboyeur" qui présenterait les gens les uns aux autres (je crois que c'est moi qui ferai l'huissier):
Mais c'était maintenant mon tour d'être annoncé. Absorbé dans la contemplation de la maîtresse de maison qui ne m'avait pas encore vu, je n'avais pas songé aux fonctions terribles pour moi -quoique d'une autre façon que pour M. de Châtellerault- de cet huissier habillé de noir comme un bourreau, entouré d'une troupe de valets aux livrées les plus riantes, solides gaillards prêts à s'emparer d'un intrus et à le mettre à la porte. L'huissier me demanda mon nom, je le luis dis aussi machinalement que le condamné à mort se laisse attacher au billot. Il leva aussitôt majestueusement la tête et , avant que j'eusse pu le prier de m'annoncer à mi-voix pour ménager mon amour-propre si je nétais pas invité, et celui de la princesse de Guermantes si je l'étais, il hurla les syllabes inquiétantes avec une force capable d'ébranler la voûte de l'hôtel.
Sodome et Gomorrhe, II, I
dimanche 4 novembre 2007: encore une matinée bien installée à la terrasse de la boulangerie, en face de l'église de Sceaux: tant d'amis attablés ! on peut admirer le clocher et la grosse horloge qui nous rappelle que nous avons passé plus de temps assis là que si nous avions assisté à la grand-messe:
C'était le clocher de Saint-Hilaire qui donnait à toutes les occupations, toutes les heures, à tous les points de vue de la ville, leur figure, leur couronnement, leur consécration.
Du côté de chez Swann, I, II
samedi 3 novembre 2007: Je continue à lire Les frères Karamazov, et un passage me donne une idée de ce qu'est l'âme russe (trouver "l'âme" des peuples est un sujet qui me fascine, et je me demande souvent ce que je dirais si on me demandait: "pourquoi es-tu fière d'être française ?" je dois avouer que, ayant vécu plus de 20 ans aux US, c'est normal que je me pose cette question). Donc, aujourd'hui, pas de citation de Proust ! :
...Jugez-en vous-même; il est dit dans l'Ecriture que si vous avez la foi, fût-ce la valeur d'un grain de sénevé, et que vous disiez à une montagne de se précipiter dans la mer, elle obéira sans la moindre hésitation. Eh bien, Grigori Vassiliévitch, si je ne suis pas croyant et que vous le soyez au point de m'injurier sans cesse, essayez donc de dire à cette montagne de se jeter, non pas dans la mer (c'est trop loin d'ici), mais tout simplement dans cette rivière infecte qui coule derrière notre jardin, vous verrez qu'elle ne bougera pas et qu'aucun changement ne se produira, si longtemps que vous criiez. Cela signifie que vous ne croyez pas de la façon qui convient, Grigori Vassiliévitch, et qu'en revanche vous accablez votre prochain d'invectives. Supposons encore que personne, à notre époque, personne absolument, depuis les gens les plus haut placés jusqu'au dernier manant, ne puisse pousser les montagnes dans la mer, à part un homme ou deux au plus, qui peut-être font secrètement leur salut dans les déserts de l'Egypte où on ne saurait les découvrir; s'il en est ainsi, si tous les autres sont incroyants, est-il possible que ceux-ci, c'est-à-dire la population du monde entier hormis deux anachorètes, soient maudits par le Seigneur, et qu'il ne fasse grâce à aucun d'eux, en dépit de sa miséricorde infinie? Non, n'est-ce pas? J'espère que mes doutes me seront pardonnés, quand je verserai des larmes de repentir.
- Attends ! glapit Fiodor Pavlovitch au comble de l''enthousiasme. Tu supposes qu'il y a deux hommes capables de remuer les montagnes ? Ivan, remarque ce trait, note-le; tout le Russe tient là-dedans.
les frères Karamazov de Dostoïevski
vendredi 2 novembre 2007: Christian m'a parlé de sa compagne qui se consacre aux arts plastiques: elle organise toute sorte d'expositions. Mais sa passion, c'est tout ce qui touche au thé:
Il y avait bien des années que, de Combray, tout ce qui n'était pas le théâtre et le drame de mon coucher, n'existait plus pour moi, quand un jour d'hiver, comme je rentrais à la maison, ma mère, voyant que j'avais froid, me proposa de me faire prendre, contre mon habitude, un peu de thé. Je refusai d'abord et, je ne sais pourquoi, me ravisai. Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d'une coquille de Saint-Jacques. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d'un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j'avais laissé s'amollir un morceau de madeleine. Mais à l'instant où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d'extraordinaire en moi. Un plaisir m'avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. Il m'avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu'opère l'amour, en me remplissant d'une essence précieuse: ou plutôt cette essence n'était pas en moi, elle était moi. J'avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. D'où avait pu me venir cette puissante joie? Je sentais qu'elle était liée au goût du thé et du gâteau, mais qu'elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même nature. D'où venait-elle?
Du côté de chez Swann, I, I
jeudi 1er novembre 2007: Lu dans le Figaro ce matin:Laurent Suply (lefigaro.fr. Publié le 31 octobre):
Mais le projet d’utilisation du « temps de cerveau disponible des internautes » le plus ingénieux est certainement « reCAPTCHA ». Les captchas sont des images présentant des lettres déformées que vous devez taper pour vous inscrire à un service en ligne ou réagir sur un blog. Le dispositif est à l’origine conçu pour bloquer les robots qui spamment allégrement le net. Le système reCAPTCHA présente deux de ces mots l’un à côté de l’autre. Le premier fait office de traditionnel anti-spam. Mais le second est en réalité tirée par exemple d’un manuscrit moyenâgeux que les logiciels de reconnaissance de texte classique n’ont pu transcrire. Il faut donc trouver un œil humain pour analyser le mot. Si le premier test est réussi, reCAPTCHA considère qu’il a bien affaire à un être humain et enregistre la réponse soumise pour le deuxième mot. Si une proportion suffisante d’internautes donne une seule et même réponse, celle-ci est considérée comme une transcription correcte du manuscrit.
Et le narrateur d'évoquer le rôle de la foule comparé à celui d'un individu, dans un contexte et pour des raisons tout autres, encore au sujet de la performance de la Berma (c'est la suite de mon blog d'hier):
A l'ombre des jeunes filles en fleurs, I