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  le blog proustpourtous

Les réflexions d'une proustienne sur sa vie, et en quoi elle lui rappelle dans des épisodes du quotidien des passages de "A la recherche du temps perdu"

LES SEPT LEÇONS DE MARCEL PROUST : La mémoire (suite)

Publié le 11 Avril 2020 par proust pour tous

LES SEPT LEÇONS

Savoir observer

Déchiffrer le monde, découvrir les codes de la société

Inclure la dimension du temps en tout ce que nous vivons

Se connaître soi-même

Recourir à l’humour dans des situations variées

Oser des rapprochements inattendus, relier tout à tout

Grâce à ces éléments, et à l’aide de sa mémoire et de l’art, en particulier  la littérature, “multiplier“  sa propre vie.

 

 

1 Savoir observer : Avec l’acuité du regard du clinicien et de l’artiste.

2 Déchiffrer le monde, la société : ce qu’on a devant soi cache souvent quelque chose qu’il faut dévoiler, des codes qui règlent la société, des signes qui voilent l’essence des choses.   

3 Redonner au temps son importance : Pour parfaire l’observation, remarquer l’importance du temps et ses effets. Ajouter ainsi une dimension capitale qui influence toutes les autres.                                                                                  

4 Nous connaître nous-mêmes : Décliner de façon aisément accessible à tous le “Γνθι σεαυτόν“ attribué à Socrate par Platon. Aider à notre auto-analyse et prendre la mesure de nos forces, faiblesses et préjugés, comme celle des autres.    

5 Recourir à l’humour : Prendre avec humour les petits supplices et la farce absurde  de notre vie qui mérite de grands éclats de rire, ou du moins un sourire.    

6 Relier tout à tout, oser des rapprochements inattendus : l’être humain tend à chercher une explication globale de l’univers, et la découverte de ses lois est un des plaisirs les plus purs de son esprit. Par la culture, se lier à toutes les générations qui nous précèdent, et à toute l’humanité.  Trouver une joie profonde en face de résonnances, de liens inexplicables.   

7  Révéler notre vraie vie grâce à tous ces éléments : la mémoire involontaire nous emmène dans des terres enfouies et inconnues de nous, vers un passé qui ne nous quitte jamais ; avec l’art, et l’art seul, en particulier la littérature, voir le monde par d’autres yeux, “multiplions notre vie“.

 

MEMOIRE (suite)

 

Rattacher l’espace au temps (observer, incorporer le temps, rattacher tout à tout)

Les lieux que nous avons connus n’appartiennent pas qu’au monde de l’espace où nous les situons pour plus de facilité. Ils n’étaient qu’une mince tranche au milieu d’impressions contiguës qui formaient notre vie d’alors ; le souvenir d’une certaine image n’est que le regret d’un certain instant ; et les maisons, les routes, les avenues, sont fugitives, hélas ! comme les années. (CS)

 

Notre mémoire nous surprendra toujours (observer)

C’est ainsi encore que nous rencontrons avec étonnement des vers que nous savons par cœur, dans une pièce où nous ne soupçonnions pas qu’ils se trouvassent. (JF)

 

Lois de la mémoire (inclure le temps, relier tout à tout)

Or, les souvenirs d’amour ne font pas exception aux lois générales de la mémoire elles-mêmes régies par les lois plus générales de l’habitude. Comme celle-ci affaiblit tout, ce qui nous rappelle le mieux un être, c’est justement ce que nous avions oublié (parce que c’était insignifiant et que nous lui avions ainsi laissé toute sa force). C’est pourquoi la meilleure part de notre mémoire est hors de nous, dans un souffle pluvieux, dans l’odeur de renfermé d’une chambre ou dans l’odeur d’une première flambée, partout où nous retrouvons de nous-même ce que notre intelligence, n’en ayant pas l’emploi, avait dédaigné, la dernière réserve du passé, la meilleure, celle qui quand toutes nos larmes semblent taries, sait nous faire pleurer encore. (JF)

 

Un grain de beauté baladeur

(observer, inclure le temps, recourir à l’humour)

Et puis comme la mémoire commence tout de suite à prendre des clichés indépendants les uns des autres, supprime tout lien, tout progrès, entre les scènes qui y sont figurées, dans la collection de ceux qu’elle expose, le dernier ne détruit pas forcément les précédents. En face de la médiocre et touchante Albertine à qui j’avais parlé, je voyais la mystérieuse Albertine en face de la mer. C’était maintenant des souvenirs, c’est-à-dire des tableaux dont l’un ne me semblait pas plus vrai que l’autre. Pour en finir maintenant des souvenirs, c’est-à-dire des tableaux avec ce premier soir de présentation, en cherchant à revoir ce petit grain de beauté sur la joue au-dessous de l’œil, je me rappelai que de chez Elstir quand Albertine était partie, j’avais vu ce grain de beauté sur le menton. (JF)

 

Lutter pied à pied (observer, inclure le temps, se connaître, recourir à l’humour, relier tout à la culture)

Je gagnai ma place, tout en cherchant à retrouver un vers de Phèdre dont je ne me souvenais pas exactement. Tel que je me le récitais, il n’avait pas le nombre de pieds voulus, mais comme je n’essayai pas de les compter, entre son déséquilibre et un vers classique il me semblait qu’il n’existait aucune commune mesure. Je n’aurais pas été étonné qu’il eût fallu ôter plus de six syllabes à cette phrase monstrueuse pour en faire un vers de douze pieds. Mais tout à coup je me le rappelai, les irréductibles aspérités d’un monde inhumain s’anéantirent magiquement; les syllabes du vers remplirent aussitôt la mesure d’un alexandrin, ce qu’il avait de trop se dégagea avec autant d’aisance et de souplesse qu’une bulle d’air qui vient crever à la surface de l’eau. Et en effet cette énormité avec laquelle j’avais lutté n’était qu’un seul pied  (CG)

 

La mémoire s’organise (inclure le temps, se connaître, relier tout à l’art)

Ainsi les espaces de ma mémoire se couvraient peu à peu de noms qui, en s'ordonnant, en se composant les uns relativement aux autres, en nouant entre eux des rapports de plus en plus nombreux, imitaient ces œuvres d'art achevées où il n'y avait pas une seule touche qui soit isolée, où chaque partie tour à tour reçoit des autres sa raison d'être comme elle impose la sienne. (CG)

 

Chercher dans sa mémoire (observer, inclure le temps, se connaître, recourir à l’humour)

Dans ce grand "cache-cache" qui se joue dans la mémoire quand on veut retrouver un nom, il n'y a pas une série d'approximations graduées. On ne voit rien, puis tout d'un coup apparait le nom exact et fort différent de ce qu'on croyait deviner. Ce n'est pas lui qui est venu à nous. Non, je crois plutôt qu'au fur et à mesure que nous vivons, nous passons notre temps à nous éloigner de la zone où un nom est distinct, et c'est par un exercice de ma volonté et de mon attention, qui augmentait l'acuité de mon regard intérieur, que tout d'un coup j'avais percé la demi-obscurité et vu clair.En tous cas s'il y a des transitions entre l'oubli et le souvenir, alors ces transitions sont inconscientes. Car les noms d'étapes par lesquels nous passons, avant de trouver le nom vrai, sont, eux, faux et ne nous rapprochent en rien de lui. Ce ne sont même pas à proprement parler des noms, mais souvent de simples consonnes et qui ne se retrouvent pas dans le nom retrouvé. D'ailleurs ce travail de l'esprit passant du néant à la réalité est si mystérieux qu'il est possible après tout que ces consonnes fausses soient des perches préalables, maladroitement tendues pour nous aider à nous accrocher au nom exact. (S&G)

 

 Pensé superficiellement, oublié rapidement  (observer, déchiffrer, inclure le temps, se connaître)

En disant cela, M. de Norpois ne mentait pas, il avait simplement oublié. On oublie du reste vite ce qu'on n'a pas pensé avec profondeur, ce qui vous a été dicté par l'imitation, par les passions environnantes. Elles changent et avec elles se modifie notre souvenir. Encore plus que les diplomates les hommes politiques ne se souviennent pas du point de vue auquel ils se sont placés à un certain moment, et quelques-unes de leurs palinodies tiennent moins à un excès d'ambition qu'à un manque de mémoire. Quant aux gens du monde, ils se souviennent de peu de chose. (P)

 

Mémoire et pharmacie

(observer, inclure le temps, se connaître, recourir à l’humour, relier tout à tout)

Nous trouvons de tout dans notre mémoire. Elle est une espèce de pharmacie, de laboratoire de chimie, où on met au hasard la main tantôt sur une drogue calmante, tantôt sur un poison dangereux. (P)

 

Quand on a tout oublié    (observer, inclure le temps)

Je continuais à m'en enquérir machinalement comme un vieillard qui, ayant perdu la mémoire, demande de temps à autre des nouvelles du fils qu’il a perdu (TR)

 

   Le souvenir reste dans son contexte (inclure le temps, se connaître, relier tout à l’art)

Bien plus, une chose que nous vîmes à une certaine époque, un livre que nous lûmes ne restent pas unis à jamais seulement à ce qu'il y avait autour de nous ; il le reste aussi fidèlement à ce que nous étions alors, il ne peut plus être repassé que par la sensibilité, par la personne que nous étions alors ; si je reprends, même par la pensée, dans la bibliothèque, François le Champi, immédiatement en moi un enfant se lève qui prend ma place, qui seul a le droit de lire ce titre : François le Champi, et qui le lit comme il le lut alors, avec la même impression du temps qu'il faisait dans le jardin, les mêmes rêves qu'il formait alors sur les pays et sur la vie, la même angoisse du lendemain. Que je revoie une chose d'un autre temps, c'est un autre jeune homme qui se lèvera. Et ma personne d'aujourd'hui n'est qu'une carrière abandonnée, qui croit que tout ce qu'elle contient est pareil et monotone, mais d'où chaque souvenir, comme un sculpteur de Grèce, tire des statues innombrables. (TR)

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