
Lors du séminaire organisé à Dives-sur-Mer par Mireille Naturel, autour d' À l'ombre des jeunes filles en fleurs, j'ai discuté pour mon plus grand bénéfice (autour d'un buffet préparé par des collégiens de la ville, un buffet délicieux, et copieux, et bien arrosé), avec le Pr Kazuyoshi Yoshikawa (à qui je demandais si les Japonais n'étaient pas déçus que Murakami et son 1Q84 n'aient pas eu le Nobel (réponse: "ni oui, ni non, les avis sont partagés", le Pr habitué des rencontres de Cabourg serait-il naturalisé normand?) qui m'a recommandé la lecture d'un classique de son pays: Je suis un chat, de Natsume Sôseki, que je me suis hâtée d'acheter: un vrai délice, tout à fait exotique, mais où j'ai compris que les Japonais ont un passé gastronomique qui les a bien préparés à la tempérance: les personnages décrits dans cette société nippone de 1905, dégustent des petits plats mitonnés (décrits en note par le traducteur Jean Cholley) du genre: poisson haché en tranches (pilé avec du sel et de l'alcool de riz, et cuit à l'étuvée. On le mange coupé en demi-rondelles), mochi (gâteau de riz glutineux cuit à la vapeur et pilé ensuite dans un mortier et pour couronner le tout du zôni (sorte de julienne de différents légumes bouillis dans du jus de poisson avec de morceaux de mochi).
Et pendant ce temps-là, dans les parages de Chartres, Françoise composait ainsi ses menus:
Car, au fond permanent d'oeufs, de côtelettes, de pommes de terre, de confitures, de biscuits, qu'elle ne nous annonçait même plus, Françoise ajoutait – selon les travaux des champs et des vergers, le fruit de la marée, les hasards du commerce, les politesses des voisins et son propre génie, et si bien que notre menu, comme ces quatre-feuilles qu'on sculptait au XIIIe siècle au portail des cathédrales, reflétait un peu le rythme des saisons et des épisodes de la vie – : une barbue parce que la marchande lui en avait garanti la fraîcheur, une dinde parce qu'elle en avait vu une belle au marché de Roussainville-le-Pin, des cardons à la moelle parce qu'elle ne nous en avait pas encore fait de cette manière-là, un gigot rôti parce que le grand air creuse et qu'il avait bien le temps de descendre d'ici sept heures, des épinards pour changer, des abricots parce que c'était encore une rareté, des groseilles parce que dans quinze jours il n'y en aurait plus, des framboises que M. Swann avait apportées exprès, des cerises, les premières qui vinssent du cerisier du jardin après deux ans qu'il n'en donnait plus, du fromage à la crème que j'aimais bien autrefois, un gâteau aux amandes parce qu'elle l'avait commandé la veille, une brioche parce que c'était notre tour de l'offrir. Quand tout cela était fini, composée expressément pour nous, mais dédiée plus spécialement à mon père qui était amateur, une crème au chocolat, inspiration, attention personnelle de Françoise, nous était offerte, fugitive et légère comme une oeuvre de circonstance où elle avait mis tout son talent. Du côté de chez Swann