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  le blog proustpourtous

Les réflexions d'une proustienne sur sa vie, et en quoi elle lui rappelle dans des épisodes du quotidien des passages de "A la recherche du temps perdu"

Mesdames, surveillez vos hommes, et vice versa; Ladies, watch for your men.

Publié le 16 Janvier 2013 par laurence grenier

Comme Florence me demandait conseil sur ce qu'elle devait lire sur Chateaubriand pour ne pas avoir l'air cloche durant une séance de son groupe de lecture consacré à l'auteur du Génie du christianisme, je lui conseillai d'aller au plus pressé: un Lagarde et Michard, que j'avais parfaitement maitrisé dans ma jeunesse et qui m'avait permis de briller en Français au lycée, sans avoir à me taper les versions intégrales. Un souvenir en appelant un autre, avec ou sans madeleine, je me revis à Larchmont, près de New-York, lors d'une exposition de groupe de peintures (où je représentais Jeanette Duclion)

 

Go to: Apr�s le bain by Jeanette Duclion at en.easyart.com

dont les spectateurs étaient tous, ou presque, français (il y a une école bilingue à Larchmont...): m'étant retrouvée le premier soir de cet événement qui se déroulait en 3 jours, à la même table qu'un homme nettement plus jeune que moi, qui m'avait épatée par ses connaissances littéraires sans rapport avec son métier d'audit, mais surtout parce que toutes les oeuvres citées par Lagarde et Michard, ils les avait lues en intégral. Notre discussion fut passionnée et répondit à ma définition d'une CONVERSATION INTERESSANTE, et j'en retirai une très grande satisfaction. Le lendemain, rideau, il m'ignora (très français) et nous n'échangeâmes aucune parole. Sa bobonne était derrière lui, ne le quittait pas d'un pas et me jeta un regard noir.

 

[Swann] Enfin, peut-être avait-il surtout perdu, ce soir-là, de son indulgence en voyant l’amabilité que Mme Verdurin déployait pour ce Forcheville qu’Odette avait eu la singulière idée d’amener. Un peu gênée vis-à-vis de Swann, elle lui avait demandé en arrivant:

— Comment trouvez-vous mon invité?

Et lui, s’apercevant pour la première fois que Forcheville qu’il connaissait depuis longtemps pouvait plaire à une femme et était assez bel homme, avait répondu: «Immonde!» Certes, il n’avait pas l’idée d’être jaloux d’Odette, mais il ne se sentait pas aussi heureux que d’habitude et quand Brichot, ayant commencé à raconter l’histoire de la mère de Blanche de Castille qui «avait été avec Henri Plantagenet des années avant de l’épouser», voulut s’en faire demander la suite par Swann en lui disant: «n’est-ce pas, monsieur Swann?» sur le ton martial qu’on prend pour se mettre à la portée d’un paysan ou pour donner du cœur à un troupier, Swann coupa l’effet de Brichot à la grande fureur de la maîtresse de la maison, en répondant qu’on voulût bien l’excuser de s’intéresser si peu à Blanche de Castille, mais qu’il avait quelque chose à demander au peintre. Celui-ci, en effet, était allé dans l’après-midi visiter l’exposition d’un artiste, ami de Mme Verdurin qui était mort récemment, et Swann aurait voulu savoir par lui (car il appréciait son goût) si vraiment il y avait dans ces dernières œuvres plus que la virtuosité qui stupéfiait déjà dans les précédentes.

— A ce point de vue-là, c’était extraordinaire, mais cela ne semblait pas d’un art, comme on dit, très «élevé», dit Swann en souriant.

—Élevé . . . à la hauteur d’une institution, interrompit Cottard en levant les bras avec une gravité simulée.

Toute la table éclata de rire.

— Quand je vous disais qu’on ne peut pas garder son sérieux avec lui, dit Mme Verdurin à Forcheville. Au moment où on s’y attend le moins, il vous sort une calembredaine.

Mais elle remarqua que seul Swann ne s’était pas déridé. Du reste il n’était pas très content que Cottard fît rire de lui devant Forcheville. Mais le peintre, au lieu de répondre d’une façon intéressante à Swann, ce qu’il eût probablement fait s’il eût été seul avec lui, préféra se faire admirer des convives en plaçant un morceau sur l’habileté du maître disparu.

— Je me suis approché, dit-il, pour voir comment c’était fait, j’ai mis le nez dessus. Ah! bien ouiche! on ne pourrait pas dire si c’est fait avec de la colle, avec du rubis, avec du savon, avec du bronze, avec du soleil, avec du caca!

— Et un font douze, s’écria trop tard le docteur dont personne ne comprit l’interruption.

—«Ça a l’air fait avec rien, reprit le peintre, pas plus moyen de découvrir le truc que dans la Ronde ou les Régentes et c’est encore plus fort comme patte que Rembrandt et que Hals. Tout y est, mais non, je vous jure.»

Et comme les chanteurs parvenus à la note la plus haute qu’ils puissent donner continuent en voix de tête, piano, il se contenta de murmurer, et en riant, comme si en effet cette peinture eût été dérisoire à force de beauté:

—«Ça sent bon, ça vous prend à la tête, ça vous coupe la respiration, ça vous fait des chatouilles, et pas mèche de savoir avec quoi c’est fait, c’en est sorcier, c’est de la rouerie, c’est du miracle (éclatant tout à fait de rire): c’en est malhonnête!» En s’arrêtant, redressant gravement la tête, prenant une note de basse profonde qu’il tâcha de rendre harmonieuse, il ajouta: «et c’est si loyal!»

Sauf au moment où il avait dit: «plus fort que la Ronde», blasphème qui avait provoqué une protestation de Mme Verdurin qui tenait «la Ronde» pour le plus grand chef-d’œuvre de l’univers avec «la Neuvième» et «la Samothrace», et à: «fait avec du caca» qui avait fait jeter à Forcheville un coup d’œil circulaire sur la table pour voir si le mot passait et avait ensuite amené sur sa bouche un sourire prude et conciliant, tous les convives, excepté Swann, avaient attaché sur le peintre des regards fascinés par l’admiration.

—«Ce qu’il m’amuse quand il s’emballe comme ça, s’écria, quand il eut terminé, Mme Verdurin, ravie que la table fût justement si intéressante le jour où M. de Forcheville venait pour la première fois. Et toi, qu’est-ce que tu as à rester comme cela, bouche bée comme une grande bête? dit-elle à son mari. Tu sais pourtant qu’il parle bien; on dirait que c’est la première fois qu’il vous entend. Si vous l’aviez vu pendant que vous parliez, il vous buvait. Et demain il nous récitera tout ce que vous avez dit sans manger un mot.»

— Mais non, c’est pas de la blague, dit le peintre, enchanté de son succès, vous avez l’air de croire que je fais le boniment, que c’est du chiqué; je vous y mènerai voir, vous direz si j’ai exagéré, je vous fiche mon billet que vous revenez plus emballée que moi!

— Mais nous ne croyons pas que vous exagérez, nous voulons seulement que vous mangiez, et que mon mari mange aussi; redonnez de la sole normande à Monsieur, vous voyez bien que la sienne est froide. Nous ne sommes pas si pressés, vous servez comme s’il y avait le feu, attendez donc un peu pour donner la salade.

Mme Cottard qui était modeste et parlait peu, savait pourtant ne pas manquer d’assurance quand une heureuse inspiration lui avait fait trouver un mot juste. Elle sentait qu’il aurait du succès, cela la mettait en confiance, et ce qu’elle en faisait était moins pour briller que pour être utile à la carrière de son mari. Aussi ne laissa-t-elle pas échapper le mot de salade que venait de prononcer Mme Verdurin.

— Ce n’est pas de la salade japonaise? dit-elle à mi-voix en se tournant vers Odette.

Et ravie et confuse de l’à-propos et de la hardiesse qu’il y avait à faire ainsi une allusion discrète, mais claire, à la nouvelle et retentissante pièce de Dumas, elle éclata d’un rire charmant d’ingénue, peu bruyant, mais si irrésistible qu’elle resta quelques instants sans pouvoir le maîtriser. «Qui est cette dame? elle a de l’esprit», dit Forcheville.

—«Non, mais nous vous en ferons si vous venez tous dîner vendredi.»

Du côté de chez Swann, Un amour de Swann

 

 

I remember a dinner in Larchmont, NY, where I had a wonderful lively conversation with a fellow Frenchman, around his litterary tastes and his passion for classics. I was there representing a painter, Jeanette Duclion

 

Go to: Apr�s le bain by Jeanette Duclion at en.easyart.com

 

and the following day, at another dinner between us, French expatriates, my conversation companion ignored me and seemed not to have seen me. His wife was being him, and she threw a dark glance in my direction...

 

[Swann] Finally, perhaps, he had lost all patience that evening as he watched Mme. Verdurin welcoming, with such unnecessary warmth, this Forcheville fellow, whom it had been Odette’s unaccountable idea to bring to the house. Feeling a little awkward, with Swann there also, she had asked him on her arrival: “What do you think of my guest?”

And he, suddenly realising for the first time that Forcheville, whom he had known for years, could actually attract a woman, and was quite a good specimen of a man, had retorted: “Beastly!” He had, certainly, no idea of being jealous of Odette, but did not feel quite so happy as usual, and when Brichot, having begun to tell them the story of Blanche of Castile’s mother, who, according to him, “had been with Henry Planta-genet for years before they were married,”tried to prompt Swann to beg him to continue the story, by interjecting “Isn’t that so, M. Swann?” in the martial accents which one uses in order to get down to the level of an unintelligent rustic or to put the ‘fear of God’ into a trooper, Swann cut his story short, to the intense fury of their hostess, by begging to be excused for taking so little interest in Blanche of Castile, as he had something that he wished to ask the painter. He, it appeared, had been that afternoon to an exhibition of the work of another artist, also a friend of Mme. Verdurin, who had recently died, and Swann wished to find out from him (for he valued his discrimination) whether there had really been anything more in this later work than the virtuosity which had struck people so forcibly in his earlier exhibitions.

“From that point of view it was extraordinary, but it did not seem to me to be a form of art which you could call‘elevated,’” said Swann with a smile.

“Elevated . . . to the height of an Institute!” interrupted Cottard, raising his arms with mock solemnity. The whole table burst out laughing.

“What did I tell you?” said Mme. Verdurin to Forcheville. “It’s simply impossible to be serious with him. When you least expect it, out he comes with a joke.”

But she observed that Swann, and Swann alone, had not unbent. For one thing he was none too well pleased with Cottard for having secured a laugh at his expense in front of Forcheville. But the painter, instead of replying in a way that might have interested Swann, as he would probably have done had they been alone together, preferred to win the easy admiration of the rest by exercising his wit upon the talent of their dead friend.

“I went up to one of them,” he began, “just to see how it was done; I stuck my nose into it. Yes, I don’t think! Impossible to say whether it was done with glue, with soap, with sealing-wax, with sunshine, with leaven, with excrem . . . ”

“And one make twelve!” shouted the Doctor, wittily, but just too late, for no one saw the point of his interruption.

“It looks as though it were done with nothing at all,” resumed the painter. “No more chance of discovering the trick than there is in the ‘Night Watch,’ or the ‘Regents,’ and it’s even bigger work than either Rembrandt or Hals ever did. It’s all there, — and yet, no, I’ll take my oath it isn’t.”

Then, just as singers who have reached the highest note in their compass, proceed to hum the rest of the air in falsetto, he had to be satisfied with murmuring, smiling the while, as if, after all, there had been something irresistibly amusing in the sheer beauty of the painting: “It smells all right; it makes your head go round; it catches your breath; you feel ticklish all over — and not the faintest clue to how it’s done. The man’s a sorcerer; the thing’s a conjuring-trick, it’s a miracle,” bursting outright into laughter, “it’s dishonest!” Then stopping, solemnly raising his head, pitching his voice on a double-bass note which he struggled to bring into harmony, he concluded, “And it’s so loyal!”

Swann's Way, Swann in Love

 

 

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