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  le blog proustpourtous

Les réflexions d'une proustienne sur sa vie, et en quoi elle lui rappelle dans des épisodes du quotidien des passages de "A la recherche du temps perdu"

septembre - octobre 2007

Publié le 22 Septembre 2007 par laurence grenier

mercredi 31 octobre 2007:  J'ai rencontré le directeur technique d'un grand théâtre de la région, qui m'a donné de précieux conseils pour mon spectacle Proustpourtous. Comme sa spécialité c'est l'éclairage de la scène, j'ai pensé au narrateur encore très jeune assistant à une matinée où se produisait dans "Phèdre",  la Berma, une grande tragédienne, dont la performance le déçut infiniment:


Dans une scène où la Berma reste immobile un instant, le bras levé à la hauteur du visage, baignée grâce à un artifice d'éclairage dans une lumière verdâtre, devant le décor qui représente la mer, la salle éclata en applaudissements, mais déjà l'actrice avait changé de place et le tableau que j'aurais voulu étudier n'existait plus. Je dis à ma grand-mère que je ne voyais pas bien, elle me passa sa lorgnette. Seulement, quand on croit à la réalité des choses, user d'un moyen artificiel pour se les faire montrer n'équivaut pas tout à fait à se sentir près d'elles. Je pensais que ce n'était plus la Berma que je voyais, mais son image dans le  verre grossissant. Je reposai la lorgnette; mais peut-être l'image que recevait mon oeil, diminuée par l'éloignement, n'était pas plus exacte; laquelle des deux Berma était la vraie? Quant à la déclaration à Hippolyte, j'avais beaucoup compté sur ce morceau où, à en juger par la signification ingénieuse que ses camarades me découvraient à tout moment dans des parties moins belles, elle aurait certainement des intonations plus surprenantes que celles que chez moi, en lisant, j'avais tâché d'imaginer; mais elle n'atteignit même pas jusqu'à celles qu'Oenone ou Aricie eussent trouvées, elle passa au rabot d'une mélopée uniforme toute la tirade où se trouvèrent confondues ensemble des oppositions pourtant si tranchées qu'une tragédienne à peine intelligente, même des élèves de lycée, n'en eussent pas négligé l'effet; d'ailleurs, elle la débita tellement vite que ce fut seulement quand elle fut arrivée au dernier vers que mon esprit prit conscience de la monotonie voulue qu'elle avait imposée aux premiers. 
Enfin éclata mon premier sentiment d'admiration:  il fut provoqué par les applaudissements frénétiques des spectateurs. J'y mêlai les miens en tâchant de les prolonger, afin que, par reconnaissance, la Berma se surpassant, je fusse certain de l'avoir entendue dans un de ses meilleurs jours.
                                                                                                                                                                                                                                               
 
A l'ombre des jeunes filles en fleurs, I

mardi 30 octobre 2007:  Hier au café (je précise: à la boulangerie en face de l'église), j'ai discuté avec Christine, une habituée occasionnelle, qui avait adoré "Du côté de chez Swann", quand elle était jeune, en particulier la description de la jalousie se Swann:

Il ne fut pas jaloux d'abord de toute la vie d'Odette, mais des seuls moments où une circonstance, peut-être mal interprétée, l'avait amené à supposer qu'Odette avait pu le tromper. Sa jalousie, comme une pieuvre qui jette une première, puis une seconde, puis une troisième amarre, s'attacha solidement à ce moment de cinq heures du soir, puis à un autre, puis à un autre encore. Mais Swann ne savait pas inventer ses souffrances. Elles n'étaient que le souvenir, la perpétuation d'une souffrance qui lui était venue du dehors.
  Mais là tout lui en apportait. Il voulut éloigner Odette de Forcheville, l'emmener quelques jours dans le Midi. Mais il croyait qu'elle était désirée par tous les hommes qui se trouvaient dans l'hôtel et qu'elle-même les désirait. Aussi lui qui jadis en voyage recherchait les gens nouveaux, les assemblées nombreuses, on le voyait sauvage, fuyant la société des hommes comme si elle l'eût cruellement blessé. Et comment n'aurait-il pas été misanthrope quand dans tout homme il voyait un amant possible pour Odette ? Et ainsi sa jalousie, plus encore que n'avait fait le goût voluptueux et riant qu'il avait eu d'abord pour Odette, altérait le caractère de Swann et changeait du tout au tout, aux yeux des autres, l'aspect même des signes extérieurs par lesquels ce caractère se manifestait.                                                                                                                                                        
 
Du côté de chez Swann, II: UN AMOUR DE SWANN

lundi 29 octobre 2007:  Je m'emballe, je 'emballe pour mon nouveau projet (un de plus). Pourtant je dois me rappeler ce que disaient les parents du narrateur au sujet de son camarade Bloch:

Il n'était pas pourtant l'ami que mes parents eussent souhaité por moi; ils avaient fini par penser que les larmes que lui avait fait verser l'indisposition de ma grand-mère n'étaient pas feintes; mais ils savaient d'instinct ou par expérience que les élans de notre sensibilité ont peu d'empire sur la suite de nos actes et la conduite de notre vie, et que le respect des obligations morales, la fidélité aux amis, l'exécution d'une oeuvre, l'observance d'un régime, ont un fondement plus sûr dans des habitudes aveugles que dans ces transports momentanés, ardents et stériles.                                                                                                                                                          Du côté de chez Swann I, II
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dimanche 28 octobre 2007:  A la sortie de la messe, que l'on observe depuis la terrasse de la boulangerie où nous prenons notre café, Corinne me fait remarquer une jolie femme à grande natte, blonde comme le petit garçon vêtu d'un dufflecoat bleu marine qui joue avec elle: "elle est encore enceinte !" (vu la rondeur de son ventre, ça semble évident): "elle attend au moins son dixième enfant !" et pendant ce temps, Jacques me parle des prochaines élections municipales, où il espère se présenter.

- Ce pauvre général, il a encore été battu aux élections, dit la princesse de Parme pour changer de conversation.
- Oh ! ce n'est pas grave, ce n'est que la septième fois", dit le duc qui, ayant dû lui-même renoncer à la politique, aimait assez les insuccès électoraux des autres. "Il s'est consolé en voulant faire un nouvel enfant à sa femme.
- Comment ! Cette pauvre Mme de Monserfeuil est encore enceinte, s'écria la princesse.
- Mais parfaitement, répondit la duchesse, c'est le seul arrondissement où le pauvre général n'a jamais échoué."                                                                                                                                                       
  Le côté de Guermantes, II, II
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vendredi 26 octobre 2007:  Ma nièce Lucie se fiance. Mon frère et ma belle-soeur donnent un grand dîner pour les proches, et je ne suis pas invitée: je me demande ce qu'il aurait fallu faire pour appartenir à ce petit clan des "proches", un des innombrables groupes qui forment la société française, et qui sont quasi-impénétrables.

Pour  faire partie du "petit noyau", du "petit groupe", du "petit clan" des Verdurin, une condition était suffisante mais elle était nécessaire: il fallait adhérer tacitement à un Credo dont un des articles était que le jeune pianiste, protégé par Mme Verdurin cette année-là et dont elle disait: "ça ne devrait pas être permis de savoir jouer Wagner comme ça !", "enfonçait" à la fois Planté et Rubinstein et que le docteur Cottard avait plus de diagnostic que Potain. Toute "nouvelle recrue"que les Verdurin ne pouvaient pas persuader que les soirées des gens qui n'allaient pas chez eux étaient ennuyeuses comme la pluie, se voyait immédiatement exclue. Les femmes étant à cet égard plus rebelles que les hommes à déposer toute curiosité mondaine et l'envie de se renseigner par soi-même sur l'agrément des autres salons, et les Verdurin sentant d'autre part que cet esprit d'examen et ce démon de frivolité pouvait par contagion devenir fatal à l'orthodoxie de la petite église, ils avaient été amenés à rejeter successivement tous les "fidèles" du sexe féminin.                                                                                                                                                            Du côté de chez Swann, II, UN AMOUR DE SWANN
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jeudi 25 octobre 2007:  J'ai lu dans le New York Times de mardi ( le mardi c'est le jour consacré aux articles scientifiques) un exposé sur les études concernant le sommeil, dont la fonction première semble être une organisation de la mémoire.

Un homme qui dort, tient en cercle autour de lui le fil des heures, l'ordre des années et des mondes. Il les consulte d'instinct en s'éveillant et y lit en une seconde le point de la terre qu'il occupe, le temps qui s'est écoulé jusqu'à son réveil; mais leurs rangs peuvent se mêler, se rompre. Que vers le matin après quelque insomnie, le sommeil le prenne en train de lire, dans une posture trop différente de celle où il dort habituellement, il suffit de son bras soulevé pour arrêter et faire reculer le soleil, et la première minute de son réveil, il ne saura plus l'heure, il estimera qu'il vient à peine de se coucher. Que s'il s'assoupit dans une position encore plus déplacée et divergente, par exemple après dîner assis dans un fauteuil, alors le bouleversement sera complet dans les mondes désorbités, le fauteuil magique le fera voyager à toute vitesse dans le  temps et dans l'espace, et au moment d'ouvrir les paupières, il se croira couché quelques mois plus tôt dans une autre contrée. Mais il suffisait que, dans mon lit même, mon sommeil fût profond et détendît entièrement mon esprit; alors celui-ci lâchait le plan du lieu où je m'étais endormi, et quand je m'éveillais au milieu de la nuit, comme j'ignorais où je me trouvais, je ne savais même pas au premier instant qui j'étais; j'avais seulement dans sa simplicité première, le sentiment de l'existence comme il peut frémir au fond d'un animal; j'étais plus dénué que l'homme des cavernes; mais alors le souvenir - non encore du lieu où j'étais, mais de quelques-uns de ceux que j'avais habités et où j'aurais pu être - venait à moi comme un secours d'en haut pour me tirer du néant d'où je n'aurais pu sortir tout seul; je passais en une seconde par-dessus des siècles de civilisation, et l'image confusément entrevue de lampes à pétrole, puis de chemises à col rabattu, recomposaient peu à peu les traits originaux de mon moi.                                                                                                                                                                                                                                                                                     Du côté de chez Swann, I,I
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mardi 23 octobre 2007: Je suis en train de traduire un texte sur les amphétamines, et leur pouvoir à créer une dépendance psychologique, leur caractère de stupéfiant.

Il faut cependant faire cette réserve que les mesures du temps lui-même peuvent être pour certaines personnes accélérées ou ralenties. Par hasard j'avais rencontré dans la rue, il y avait quatre ou cinq ans, la vicomtesse de Saint-Fiacre (belle-fille de l'amie des Guermantes). Ses traits sculpturaux semblaient lui assurer une jeunesse éternelle. D'ailleurs, elle était encore jeune. Or je ne pus, malgré ses sourires et ses bonjours, la reconnaître en une dame aux traits tellement déchiquetés que la ligne du visage n'était pas restituable. C'est que depuis trois ans elle prenait de la cocaïne et d'autres drogues. Ses yeux profondément cernés de noir étaient presque hagards. Sa bouche avait un rictus étrange. Elle s'était levée, me dit-on, pour cette matinée, restant des mois sans quitter son lit ou sa chaise longue. Le Temps a ainsi des trains express et spéciaux qui mènent vite à une vieillesse prématurée.                                                                                                                                                                                                                                                                                        Le Temps retrouvé

samedi 20 octobre 2007:  Hier c'était l'anniversaire d'Angie: elle m'a dit que dans le fond ce jour-là, quoique chargé de signification pour celui dont c'est l'anniversaire, n'avait rien d'intrinsèquement différent des autres jours qui le précèdent ou le suivent .

J'avais beau dédier celui-ci à Gilberte, et comme on superpose une religion aux lois aveugles de la nature, essayer d'imprimer au jour de l'An l'idée particulière que je m'étais faite de lui, c'était en vain; je sentais qu'il ne savait pas qu'on l'appelât le jour de l'An, qu'il finissait dans le crépuscule d'une façon qui ne m'était pas nouvelle: dans le vent doux qui soufflait autour de la colonne d'affiches, j'avais reconnu, j'avais senti reparaître la matière éternelle et commune, l'humidité familière, l'ignorante fluidité des anciens jours.                                                                                                                                                                                                                                                                                         A l'ombre des jeunes filles en fleurs I
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jeudi 18octobre 2007:  J'ai rencontré, sans être vue ou reconnue, à Robinson, un ancien camarade de la faculté de pharmacie, qui avait à peine changé. En revanche, sa femme Marie-Blanche, que je me rappelle minaudeuse et jouant de sa beauté, ne ressemble plus à grand chose, je ne l'aurais jamais reconnue si elle était passée seule .

Les traits où s'était gravée sinon la jeunesse, du moins la beauté ayant disparu chez les femmes, elles avaient cherché si, avec le visage qui leur restait, on ne pouvait s'en faire un autre. Déplaçant le centre, sinon de gravité, du moins de perspective, de leur visage, en composant les traits autour de lui suivant un autre caractère, elles commençaient à cinquante ans une nouvelle sorte de beauté, comme on prend sur le tard un nouveau métier, ou comme à une terre qui ne vaut plus rien pour la vigne on fait produire des betteraves. Autour de ces traits nouveaux on faisait fleurir une nounelle jeunesse. Seules ne pouvaient s'accommoder de ces transformations les femmes trop belles, ou trop laides. Les premières, sculptées comme un marbre aus lignes définitives duquel on ne peut plus rien changer, s'effritaient comme une statue. Les secondes, celles qi avaient quelque difformité de la face, avaient même sur les belles certains avantages. D'abord, c'étaient les seules qu'on reconnaissait tout de suite. On savait qu'il n'y avait pas à Paris deux bouches pareilles et la leur me les faisait reconnaître dans cette matinée où je ne reconnaissais plus personne. Et puis elles n'avaient même pas l'air d'avoir vieilli. La vieillesse est quelque chose d'humain; elles étaient des monstres, et elles ne semblaient pas avoir plus "changé" que des baleines.                                                                                                                                                                                                                                                                                         Le Temps retrouvé
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lundi 15 octobre 2007:  j'ai l'intention de faire un tour chez Ikea, le marchand de meubles suédois.
                                                                                       
Mme Verdurin était assise sur un haut siège suédois, en sapin ciré, qu'un violoniste de ce pays lui avait donné et qu'elle conservait, quoiqu'il rappelât la forme d'un escabeau et jurât avec les beaux meubles anciens qu'elle avait, mais elle tenait à garder en évidence les cadeaux que les fidèles avaient l'habitude de lui faire de temps en temps, quand ils venaient. Aussi tâchait-elle de persuader qu'on s'en tînt aux fleurs et aux bonbons, qui du moins se détruisent; mais elle n'y réussissait pas et c'était chez elle une collection de chauffe-pieds, de coussins, de pendules, de paravents, de baromètres, de pjotiches, dans une accumulation de redites et un disparate d'étrennes.
De ce poste élevé elle  participait avec entrain à la conversation des fidèles et s'égayait de leurs "fumisteries", mais depuis l'accident qui était arrivé à sa mâchoire, elle avait  renoncé à prendre la peine de pouffer effectivement et se livrait à la place à une mimique conventionnelle qui signifiait, sans fatigue ni risques pour elle, qu'elle riait aux larmes.

Du côté de chez Swann II

dimanche 14 octobre  2007:  Mon fils James me dit que dans le film Apocalypse now, les Français rencontrés dans la jungle attribuent l'origine de l'expression "Un ange passe", à la première guerre mondiale: origine qui me parait douteuse. ça serait amusant de faire un livre d'étymologie fantaisiste:

MARCEL: Je serai d’autant plus content de la voir qu’elle m’avait promis un ouvrage de l’ancien curé de Combray sur les noms de cette région-ci, et je vais pouvoir lui rappeler sa promesse. Je m’intéresse à ce prêtre et aussi aux étymologies.

BRICHOT :  Ne vous fiez pas trop à celles qu’il indique ; l’ouvrage qui est à La Raspelière et que je me suis amusé à feuilleter ne me dit rien qui vaille ; il fourmille d’erreurs. Je vais vous en donner un exemple. Le mot bricq entre dans la formation d’une quantité de noms de lieux de nos environs. Le brave ecclésiastique a eu l’idée passablement biscornue qu’il vient de briga, hauteur, lieu fortifié. Pour en revenir au pays que nous avons le plaisir de traverser en ce moment avec vous, Bricquebosc signifierait le bois de la hauteur, Bricquebec, où nous nous arrêterons dans un instant avant d’arriver à Maineville, la hauteur près du ruisseau. Or ce n’est pas du tout cela, pour la raison que bricq est le vieux mot norois qui signifie tout simplement un pont. De même que fleur, que le protégé de Mme de Cambremer se donne une peine infinie pour rattacher tantôt aux mots scandinaves floi, flo, tantôt aux mots irlandais ae et aer,fiord des Danois et signifie port. De même l’excellent prêtre croit que la station de Saint-Martin-le-Vêtu, qui avoisine La Raspelière, signifie Saint-Martin-le-Vieux (vetus). Il est certain que le mot de vieux a joué un grand rôle dans la toponymie de cette région. Vieux vient généralement de vadum et signifie gué, comme au lieu-dit les Vieux. C’est ce que les Anglais appelaient ford (Oxford, Hereford). Mais dans le cas particulier, vieux vient non pas de vetus, mais de vastatus, lieu dévasté et nu. Quant à Saint-Mars, jadis (honni soit qui mal y pense !) Saint-Merd, c’est Saint-Medardus, Saint-Mard, Saint-Marc, Cinq-Mars, et jusqu’à Dammas. Il ne faut du reste pas oublier que tout près d’ici, des lieux portant ce même nom de Mars attestent simplement une origine païenne (le dieu Mars) restée vivace en ce pays, mais que le saint homme se refuse à reconnaître. Les hauteurs dédiées aux dieux sont en particulier fort nombreuses, comme la montagne de Jupiter (Jeumont). Votre curé n’en veut rien voir et en revanche partout où le christianisme a laissé des traces, elles lui échappent. Votre curé fait venir les mots hon, home, holm, du mot holl (hullus), colline, alors qu’il vient du norois, holm, île, que vous connaissez bien dans Stockholm, et qui dans tout ce pays-ci est si répandu : la Houlme, Engohomme, Tahoume, Robehomme, Néhomme, Quettehou etc… ?
 

MARCEL: Est-ce que Néhomme n’est pas près de Carquethuit  et de Clitourps?       
                                                                                                          
                           BRICHOT: Parfaitement, Néhomme c’est le ‘holm’, l’île ou presqu’île du fameux vicomte Nigel dont le nom est resté aussi dans Néville. Carquethuit et Clitourps dont vous me parlez sont pour le protégé de Mme de Cambremer l’occasion d’autres erreurs. Sans doute il voit bien que ‘carque’ c’est une église, la ‘Kirche’ des Allemands. Vous connaissez  Querqueville, Carquebut, sans parler de Dunkerque. Car mieux vaudrait alors nous arrêter à ce fameux mot de ‘dun’ qui pour les Celtes signifiait une élévation. Et cela vous le retrouverez dans toute la France. Votre abbé s’hypnotise devant Duneville. Mais dans l’Eure-et-Loir il eût trouvé Chateaudun ;  Dun-le-Roi dans le Cher, Duneau dans la Sarthe, Dun dans l’ Ariège, Dune-les-Places dans la Nièvre, etc, etc. Ce ‘dun’ lui fait commettre une curieuse erreur en ce qui concerne Douville où nous descendrons et où nous attendent les confortables voitures de Mme Verdurin. Douville, en latin ‘donvilla’, dit-il. En effet Douville est au pied de grandes hauteurs. Mais enfin l’abbé se trompe. Douville n’a jamais été Donville, mais Doville, ‘Eudonis villa’, the village d’Eudes. Douville s’appelait autrefois Escalecliff, l’escalier de la pente. Vers 1233, Eudes le Bouteiller, seigneur d’Escalecliff, partit pour la Terre Sainte; au moment de partir il fit remise de l’église à l’abbaye de Blanchelande. Il veut que la deuxième syllabe dérive de ‘clivus’, pente, alores qu’elle vient de ‘cliff’, rocher. Mais ses plus grosses bévues viennent moins de son ignorance que de ses préjugés. Si bon Français qu’on soit, faut-il nier l’évidence et prendre Saint-Laurent-en-Bray pour le prêtre romain si connu, alors qu’il s’agit de saint Lawrence O’ toole, archevêque de Dublin ?  vous voyez que le petit livre que vous allez trouver à La Raspelière n’est pas des mieux faits.   

MARCEL: A Combray le curé nous avait souvent appris des étymologies bien intéressantes!      
                                                                                                                               
BRICHOT: Il était probablement mieux sur son terrain, le voyage en Normandie l’aura dépaysé.                                                                                                                                                            MARCEL: Et ne l’aura pas guéri, car il était arrivé neurasthénique et est reparti rhumatisant.                                                                                                                                                         BRICHOT: Ah! C’est la faute à la neurasthénie. Il est tombé de la neurasthénie dans la philologie, comme eût dit mon bon maître Poquelin. Dites donc, Cottard, vous semble-t-il que la neurasthénie puisse avoir une influence fâcheuse sur la philologie, la philologie une influence calmante sur la neurasthénie, et la guérison de la neurasthénie conduire au rhumatisme ?                                                                                                                                                                                      COTTARD:  Parfaitement, le rhumatisme et la neurasthénie sont deux formes vicarantes du neuro-arthritisme. On peut passer de l’une à l’autre par métastase.                                                                                                                                                                                                               
                                                                                                                                                                                                                                                    
Sodome et Gomorrhe
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samedi 13 octobre 2007:  Pour son anniversaire Laurent a reçu un service de tasses à thé japonaises, classiques pour le thé vert, un peu comme des gobelets de terre. Et soudain je me suis demandée si Marcel, dans sa fameuse description, n'a pas confondu les bols japonais avec les bols chinois:

Et comme dans ce jeu où les Japonais s'amusent à tremper dans un bol en porcelaine rempli d'eau, de petits morceaux de papier jusque-là indistincts qui, à peine y sont-ils plongés s'étirent, se contournent, se colorent, se différencient, deviennent des fleurs, des maisons, des personnages consistants et reconnaissables, de même maintenant toutes les fleurs de notre jardin et celles du parc de M. Swann, et les nymphéas de la Vivonne, et les bonnes gens du village et leurs petits logis et l'église et tout Combray et ses environs, tout cela qui prend forme et solidité, est sorti, ville et jardins, de ma tasse de thé.                                                                  
Du côté de chez Swann; Première partie: Combray

vendredi 12 octobre 2007:  Samedi dernier j'ai donné un dîner "littéraire", c'est-à-dire que j'avais invité Henri et sa femme Mireille, qui étaient le centre d'intérêt au milieu de mon petit groupe de fidèles. On a (un peu) parlé bouquins, mais on a surtout bien ri. Sans imiter la morgue de M. de Charlus, juste son esprit de répartie:

MME VERDURIN: Dites donc, Charlus, (elle commençait à se familiariser) vous n’auriez pas dans votre faubourg quelque vieux noble ruiné qui pourrait me servir de concierge?   
                                                                                                                                                                                             
CHARLUS: Mais si…mais si… (en souriant d’un air bonhomme) mais je ne vous le conseille pas.   
                                                                                                                                                
MME VERDURIN: Pourquoi ?                                                                                                                                                                                                                
CHARLUS: Je craindrais pour vous que les visiteurs élégants n’allassent pas plus loin que la loge.                                          

Sodome et Gomorrhe II, II


jeudi 11 octobre 2007:
 
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R
<br /> "elle m'a dit que dans le fond ce jour-là, quoique chargé de signification pour celui dont c'est<br /> l'anniversaire, n'avait rien d'intrinsèquement différent des autres jours"<br /> <br /> <br /> Ca me rappelle un passage - que je n'arrives pas à situer, je pense pourtant qu'il existe - ou il<br /> est question de " mes parents que j'aime non pas par devoir filiale mais pour leurs qualités réelles etc." comme étant une banalité. Ca vous dit peut-être quelque chose ?<br />
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