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Hier soir, pour fêter l'anniversaire de Colette, née le 28 janvier 1873, j'ai servi à nos invités un bœuf bourguignon: fini le bœuf en gelée de Françoise, vive la Bourgogne ! J'aurais voulu, pour accompagner ce plat bien adapté à un temps d'hiver, lire un peu de Colette avec l'accent bourguignon, mais impossible pour moi de rouler les r (il faudra qu'au Palais Royal, en cette année anniversaire colettienne, on fasse réciter quelques lignes, si possible en roulant les r). Je trouvai un texte extrait du livre photographié ci-dessus:
J’ai été très bien élevée. Pour preuve première d'une affirmation aussi catégorique, je dirai que je n'avais pas plus de trois ans lorsque mon père me donna à boire un plein verre à liqueur d'un vin mordoré, envoyé de son Midi natal: le muscat de Frontignan.
Coup de soleil, choc voluptueux, illumination des papilles neuves! Ce sacre me rendit à jamais digne du vin. Un peu plus tard j'appris à vider mon gobelet de vin chaud, aromatisé de cannelle et de citron, en dînant de châtaignes bouillies. A l'âge où l'on lit à peine, j'épelai, goutte à goutte, des bordeaux rouges anciens et légers, d'éblouissants Yquem. Le champagne passa à son tour, murmure d'écume, perles d'air bondissantes, à travers des banquets d'anniversaire et de première communion, il arrosa les truffes grises de la Puisaye... Bonnes études, d'où je me haussai à l'usage familier et discret du vin, non point avalé goulûment, mais mesuré dans des verres étroits, absorbé à gorgées espacées, réfléchies.
C'est entre la onzième et la quinzième année que se parfit un si beau programme éducatif. Ma mère craignait qu'en grandissant je ne prisse les "pâles couleurs". Une à une elle déterra, de leur sable sec, des bouteilles qui vieillissaient sous notre maison, dans une cave – elle est, Dieu merci, intacte – minée à même un bon granit. J'envie, quand j'y pense, la gamine privilégiée que je fus. Pour accompagner au retour de l'école mes en-cas modestes – côtelette, cuisse de poulet froid ou l'un de ces fromages durs, "passés" sous la cendre de bois et qu'on rompt en éclats, comme une vitre, d'un coup de poing – j'eus des Château-Larose, des Château-Laffitte, des Chambertin et des Corton qui avaient échappé, en 70, aux "Prussiens". Certains vins défaillaient, pâlis et parfumés encore comme la rose morte; ils reposaient sur une lie de tannin qui teignait la bouteille, mais la plupart gardaient leur ardeur distinguée, leur vertu roborative. Le bon temps!
J'ai tari le plus fin de la cave paternelle, godet à godet, délicatement... Ma mère rebouchait la bouteille entamée, et contemplait sur mes joues la gloire des crus français (Prisons et paradis)
Mais pour animer encore mieux un souper fin, quoi de mieux que quelques textes récités PAR COEUR ? Ce que fit à ma grande surprise, et joie, la belle-sœur de mon jules qui, jusque-là, avait refusé de se plonger dans la Recherche, mais, changeant son fusil d'épaule, à présent écoute et lit en même temps notre chef d'œuvre adoré: ça, je ne l'avais encore jamais rencontré, Proust entrant simultanément par les yeux et les oreilles! Et d'ajouter, de nulle part, "je sais d'ailleurs une phrase par cœur". La voici:
Et penchée sur le lit, les jambes fléchissantes, à demi agenouillée, comme si, à force d'humilité, elle avait plus de chance de faire exaucer le don passionné d'elle-même, elle inclinait vers ma grand-mère toute sa vie dans son visage comme dans un ciboire qu'elle lui tendait, décoré en reliefs de fossettes et de plissements si passionnés, si désolés et si doux qu'on ne savait pas s'ils y étaient creusés par le ciseau d'un baiser, d'un sanglot ou d'un sourire. Le côté de Guermantes
Lancés sur le PAR CŒUR, après sa femme, le mari de réciter du Baudelaire (Spleen 1ère strophe). Ils repartirent deux heures plus tard les mains pleines: 2 prospectus de PAR CŒUR au PALAIS ROYAL
Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits.
Un projet que j'espère reprendre avec Damien Rentès
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Les livres des éditions du Palio, vendus chez Delamain: