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Comme la plupart des proustiens, quand je lis A la recherche du temps perdu, je lis ma vie ou du moins ce qu'elle aurait pu être. Ce n'est pas étonnant, et le narrateur, à la fin de son livre, évoque cette autre vie qu'il aurait pu avoir, la mienne ? la vôtre ?
Sans Swann, mes parents n'eussent jamais eu l'idée de m'envoyer à Balbec. Il n'était pas d'ailleurs responsable des souffrances que lui-même m'avait indirectement causées. Elles tenaient à ma faiblesse. La sienne l'avait bien fait souffrir lui-même par Odette. Mais en déterminant ainsi la vie que nous avons menée, il a par là même exclu toutes les vies que nous aurions pu mener à la place de celle-là. Si Swann ne m'avait pas parlé de Balbec, je n'aurais pas connu Albertine, la salle à manger de l'hôtel, les Guermantes. Mais je serais allé ailleurs, j'aurais connu des gens différents, ma mémoire comme mes livres serait remplie de tableaux tout autres, que je ne peux même pas imaginer et dont la nouveauté, inconnue de moi, me séduit et me fait regretter de n'être pas allé plutôt vers elle, et qu'Albertine et la plage de Balbec et Rivebelle et les Guermantes ne me fussent pas restés toujours inconnus. Le Temps retrouvé
Et lorsqu'un vague ami de mes 15 ans aux Sables d'Olonne, alors que, de 5 ans plus âgé que moi, une petite vedette locale que je croyais hautain et inaccessible, il me croisa 30 ans plus tard et qu'il évoqua nos souvenirs communs de cette époque enchantée par le souvenir, je me dis que Proust avait raconté cet épisode:
Je rentrai en pensant à cette matinée, en revoyant l'éclair au café que j'avais fini de manger avant de me laisser conduire par Elstir auprès d'Albertine, la rose que j'avais donnée au vieux monsieur, tous ces détails choisis à notre insu par les circonstances et qui composent pour nous, en un arrangement spécial et fortuit, le tableau d'une première rencontre. Mais ce tableau, j'eus l'impression de le voir d'un autre point de vue, de très loin de moi-même, comprenant qu'il n'avait pas existé que pour moi, quand quelques mois plus tard, à mon grand étonnement, comme je parlais à Albertine du premier jour où je l'avais connue, elle me rappela l'éclair, la fleur que j'avais donnée, tout ce que je croyais, je ne peux pas dire n'être important que pour moi, mais n'avoir été aperçu que de moi et que je retrouvais ainsi, transcrit en une version dont je ne soupçonnais pas l'existence, dans la pensée d'Albertine. A l'ombre des jeunes filles en fleurs
PS: lors de la première fête des Amis d'écrivains, le 18 septembre prochain, à Illiers Combray, sur le thème de Littérature et Gastronomie, faudra-t-il un marchand d'éclairs au café ?