
Alors qu'après l'immense joie d'avoir vu un grand comédien monter sur scène et dire des textes de Proust qu'il avait choisis avec moi, et en attendant que Xavier Gallais (c'est de lui que je parle) recommence, je reprends un bâton de Proust pour tous plus modeste: un petit livre que j'avais publié en 2013, et dont on m'avait dit grand bien. Quand je l'avais écrit, j'étais obsédée par la position du lecteur par rapport à l'auteur, et par l'évidence qui s'était imposée à moi: "A chaque proustien son Proust", ajoutée à la question qu'on me posait souvent: "C'est quoi être proustien ?". à laquelle j'avais essayé de répondre en démontrant, à l'aide d'extraits de la Recherche quelles leçons de vie je tirais de la lecture de notre grand écrivain, une sorte de "sophrologie littéraire". Je vais donc reprendre ici ces leçons, maintenant que festivals, conférences, pièces, analyses,expositions, célébrations de tout poil ont permis une explosion dans la nombre des amateurs ou simplement curieux de Proust:
LES SEPT LEÇONS
Savoir observer
Déchiffrer le monde, découvrir les codes de la société
Inclure la dimension du temps en tout ce que nous vivons
Se connaître soi-même
Recourir à l’humour dans des situations variées
Oser des rapprochements inattendus, relier tout à tout
Grâce à ces éléments, et à l’aide de sa mémoire et l’art, en particulier la littérature, “multiplier“ sa propre vie.
1 Savoir observer : Avec l’acuité du regard du clinicien et de l’artiste.
2 Déchiffrer le monde, la société : ce qu’on a devant soi cache souvent quelque chose qu’il faut dévoiler, des codes qui règlent la société, des signes qui voilent l’essence des choses.
3 Redonner au temps son importance : Pour parfaire l’observation, remarquer l’importance du temps et ses effets. Ajouter ainsi une dimension capitale qui influence toutes les autres.
4 Nous connaître nous-mêmes : Décliner de façon aisément accessible à tous le “Γνῶθι σεαυτόν“ attribué à Socrate par Platon. Aider à notre auto-analyse et prendre la mesure de nos forces, faiblesses et préjugés, comme celle des autres.
5 Recourir à l’humour : Prendre avec humour les petits supplices et la farce absurde de notre vie qui mérite de grands éclats de rire, ou du moins un sourire.
6 Relier tout à tout, oser des rapprochements inattendus : l’être humain tend à chercher une explication globale de l’univers, et la découverte de ses lois est un des plaisirs les plus purs de son esprit. Par la culture, se lier à toutes les générations qui nous précèdent, et à toute l’humanité. Trouver une joie profonde en face de résonnances, de liens inexplicables.
7 Révéler notre vraie vie grâce à tous ces éléments : la mémoire involontaire nous emmène dans des terres enfouies et inconnues de nous, vers un passé qui ne nous quitte jamais ; avec l’art, et l’art seul, en particulier la littérature, voir le monde par d’autres yeux, “multiplions notre vie“.
Ces 7 leçons sont ici appliquées
aux 12 grands thèmes suivants :
LES DOUZE THÈMES
L’AMOUR
LA PLUIE ET LE BEAU TEMPS, LA NATURE
LE DÉVELOPPEMENT PERSONNEL
LE LANGAGE
Intermède : une fable de La Fontaine
LA VIE EN SOCIÉTÉ
LA MODE
Second intermède : la lampe d’Aladin
LES DIFFÉRENCES DE CLASSE
LE VIEILLISSEMENT
L’ART ET LES ARTISTES
LA MORT
Troisième intermède :
la grive dans les Mémoires d’Outre-tombe
LA MÉMOIRE
UN MESSAGE D’ESPOIR
Les références aux sept volumes qui constituent le roman,
A la recherche du temps perdu, qui n’est qu’un, se situent à la fin de chaque extrait :
Du côté de chez Swann (CS)
A l’ombre des jeunes filles en fleurs (JF)
Le côté de Guermantes (CG)
Sodome et Gomorrhe (S&G)
La Prisonnière (P)
Albertine disparue (AD)
Le Temps retrouvé (TR)
L’AMOUR
AVANT D’ENTRER EN AMOUR
Les femmes aiment l’uniforme
(déchiffrer, recourir à l’humour)
Que nous croyions qu’un être participe à une vie inconnue où son amour nous ferait pénétrer, c’est, de tout ce qu’exige l’amour pour naître, ce à quoi il tient le plus, et qui lui fait faire bon marché du reste. Même les femmes qui prétendent ne juger un homme que sur son physique, voient en ce physique l’émanation d’une vie spéciale. C’est pourquoi elles aiment les militaires, les pompiers; l’uniforme les rend moins difficiles pour le visage; elles croient baiser sous la cuirasse un cœur différent, aventureux et doux; (CS)
Amour non partagé
(se connaître)
Je l’aimais, je regrettais de ne pas avoir eu le temps et l’inspiration de l’offenser, de lui faire mal, et de la forcer à se souvenir de moi. Je la trouvais si belle que j’aurais voulu pouvoir revenir sur mes pas, pour lui crier en haussant les épaules: «Comme je vous trouve laide, grotesque, comme vous me répugnez!» (CS)
Se rendre irrésistible auprès des femmes
(observer, déchiffrer)
Il ne les saluait pas si elles étaient avec un homme, et elles tout en le regardant plus qu’un autre parce que l’indifférence qu’on lui savait pour toute femme qui n’était pas son actrice, lui donnait aux yeux de celles-ci un prestige singulier, elles avaient l’air de ne pas le connaître. (JF)
Amoureux éconduit (observer, se connaître, relier à la culture)
«Quelle buse!» pensais-je, irrité de l’accueil glacial qu’elle m’avait fait. Je trouvais une sorte d’âpre satisfaction à constater sa complète incompréhension de Maeterlinck. «C’est pour une pareille femme que tous les matins je fais tant de kilomètres, vraiment j’ai de la bonté. Maintenant c’est moi qui ne voudrais pas d’elle.» Tels étaient les mots que je me disais; ils étaient le contraire de ma pensée; c’étaient de purs mots de conversation, comme nous nous en disons dans ces moments où, trop agités pour rester seuls avec nous-même, nous éprouvons le besoin, à défaut d’autre interlocuteur, de causer avec nous, sans sincérité, comme avec un étranger. (CG)
Comment aimer les femmes
(déchiffrer, recourir à l’humour)
Certes, il est plus raisonnable de sacrifier sa vie aux femmes qu’aux timbres-poste, aux vieilles tabatières, même aux tableaux et aux statues. Seulement l’exemple des autres collections devrait nous avertir de changer, de n’avoir pas une seule femme, mais beaucoup. (CG)
Etre aimé plus qu’on aime est une des croix de la vie
(observer, déchiffrer)
Sans doute, bien que chacun parle mensongèrement de la douceur, toujours refusée par le destin, d’être aimé, c’est une loi générale, et dont l’empire est bien loin de s’étendre sur les seuls Charlus, que l’être que nous n’aimons pas et qui nous aime nous paraisse insupportable. A cet être, à telle femme dont nous ne dirons pas qu’elle nous aime mais qu’elle nous cramponne, nous préférons la société de n’importe quelle autre qui n’aura ni son charme, ni son agrément, ni son esprit. (S&G)
Et demain la suite:
QUAND ON TOMBE AMOUREUX
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