Et un texte de Clopine, qui présentera un court métrage sur ses pommiers en fleurs, accompagné du texte de Proust qu'il évoque, au OFFx du Printemps Proustien (extrait de facebook)
Je voudrais dire que même si les pompiers avaient arrosé l’incendie avec de l’eau bénite, ça n’aurait pas empêché la flèche de brûler.
Je voudrais que les curés se taisent, au moins un peu, que les chrétiens ne s’accaparent pas la tragédie. Je veux revendiquer, moi l’athée, le droit de pleurer Notre Dame.
J’avais déjà ça dans le bide, la nuit où j’ai choisi mon pseudo. Ca bougeait, ça remuait : j’étais déjà la proie des flammes cette nuit-là, à cause de la jalousie, du sentiment de mon impuissance, de ma honte et de ma colère.
IL fallait que je réagisse.
Je n’avais jamais été bien sûre d’avoir le droit d’exister. J’étais même plutôt d’un avis contraire. Et puis, fille de rien, ou de si peu, du fond de ma petite vie, à quoi pouvais-je prétendre ?
J’étais suffisamment intelligente pour comprendre que les dés, partout, toujours, sont pipés. Que ce que l’on se reproche n’est bien souvent pas de « votre faute », mais pré-existe à votre naissance…
Je le savais bien, que mon berceau à moi était étriqué, qu’il n’était paré ni de mousseline, ni de soie ou de dentelles. Que je n’irais pas bien loin dans les études. Qu’on m’assignerait l’humilité et le silence, qu’on m’autoriserait l’admiration mais en m’enjoignant la génuflexion.
Qu’il me serait interdit d’écrire, car il faut être orgueilleux pour écrire, et je n’avais pas la permission de l’être. Avant même de savoir si j’en avais les moyens. Fille, en plus : comme s’il n’y avait pas encore assez d’obstacles comme cela.
J’avais lu un mauvais livre, ce jour-là, signé d’un nom connu pour sa vulgarité. Joliment édité, d’une maison « sérieuse », comme on dit.
Dans le tiroir de mon bureau reposait un texte dédaigné, que je ne pouvais cependant considérer comme nul et non avenu, à moins de renier mon âme.
C’était une nuit calme dans la chambre silencieuse, mais je brûlais de colère. Alors j’ai eu recours à ce qui, depuis toujours, m’était une ressource, une porte de sortie, un viatique : j’ai attrapé un livre de Victor Hugo.
J’ai admiré, comme d’habitude, la virtuosité, la richesse des images et du vocabulaire. Les dix premières pages de Notre-Dame de Paris comportent plus de termes inconnus qu’à peu près la totalité des oeuvres littéraires du vingtième siècle.
Le moyen-âge décrit là est certes un « parti pris ». L’obstination d’ Hugo à nier les goûts de son siècle l’amène à des observations, sur la cathédrale, qui allaient donner de l’eau au moulin de Viollet-le-Duc. La composition du livre souffre aussi du didactisme de l’auteur, qui parsème le texte des pesantes considérations du romantisme.
Mais cependant, quel souffle. Je n’avais plus dix ans, j’étais adulte depuis bien longtemps, mais les ressorts dramatiques et les portraits des personnages fonctionnaient si bien, l’identification était si facile, si aisée…
Je n’avais qu’à lire, et j’étais tour à tour la bohémienne Esméralda, le tourmenté Frollo, le vaurien Jehan, l’abruti Phoebus, le poète Gringoire. Quand Quasimodo était supplicié, c’était moi qui geignait. Jusqu’à la chèvre, qui devenait mienne, et que je faisais danser.
Je lisais dans la nuit et je me révoltais contre tout, moi-même et le reste, et les papiers dédaignés du tiroir, qui n’auraient pas dû l’être, en fait.
Hugo m’aurait comprise : l’injustice brûle.
Mais pourtant le sentiment de la faiblesse de mes moyens, et la modestie de mes ambitions devaient me restreindre, sinon j’allais partir en vrille. En fumée.
Il y avait un personnage, dans le livre qui reposait sur mes genoux pendant que j’avais arrêté ma lecture et que j’écoutais dans la nuit mes pensées déchaînées, un personnage qui apparaissait dès le début et ce, jusqu’à la fin, un personnage fort humble, dépenaillé, misérable et ingénieux, tapant sur l’épaule des puissants, reconnu par l’ambassadeur des Flandres, certes, mais c’est que ce dernier n’a pas oublié qu’il est avant tout chaussetier à Gand, un personnage qui mendie le jour mais est souverain la nuit, tout comme moi je l’étais.
Oh, certes, souverain des gueux ! Personnage d’Hugo, mais secondaire ! Prince… Mais prince des mendiants ! Possédant une cour, mais de carton-pâte, tout comme les « miracles » qui la désignaient n’étaient en fait que la guérison de plaies mensongères ou la repousse de membres faussement mutilés.
Que faisait Clopin Trouillefou, le roi des gueux, sinon mentir et se travestir pour avoir le droit d’exister ?
Et que faisais-je d’autre, moi qui menait la petite vie la plus banale et la plus conformiste en apparence, qui était une de ces personnes qui ne semblent servir à rien, ou à si peu, mais qui toutes les nuits poursuivait un rêve déraisonnable, (puisqu' »on » me le disait ), de création, d’accomplissement, d’existence en quelque sorte ?
Esméralda, en grand danger de mourir, trouvait refuge dans la cathédrale : c’était le lieu, pour Hugo, du seul pouvoir capable de se dresser contre la tyrannie monarchique.
Clopin Trouillefou, pour délivrer la bohémienne, rameutait sa troupe d’éclopés et montait à l’assaut.
Mes convictions politiques, mes combats, mes refus et et mes indignations : n’était-ce pas également, pour moi, une manière de monter à l’assaut des Pouvoirs de mon temps ?
Moi aussi je voulais changer ce monde. Moi aussi je voulais que tous les Clopin Trouillefou n’aient plus besoin de leurs misérables miracles.
Moi aussi je voulais Notre-Dame.
Virginia Woolf, dans sa célèbre conférence « une chambre à soi », avait assigné un sort bien malheureux à la soeur de Shakespeare. Elle l’avait imaginée brûlant, comme son frère, du désir du théâtre, mais broyée par la vie, et enterrée sous le carrefour d’Elephant and Castle.
Je ne pouvais rien, dans la nuit silencieuse. Ni être Victor Hugo, ni changer l’abjection du monde, ni apaiser mon coeur.
Mais je pouvais devenir la soeur de Clopin Trouillefou.
Ca oui.
Et tant pis si Clopin, dans le livre, par méprise et furie, mettait le feu à Notre-Dame de Paris.
Moi c’était mon coeur que j ‘apaisais en devenant sa soeur. Paradoxalement, cet incendie de Clopin Trouillefou me refroidissait ! Et je confortais mon coeur et mes résolutions, en me faisant le serment de ne plus m’oublier : puisque j’étais hugolienne, que je voulais écrire, qu’il me serait sans doute impossible d’être reconnue, au moins ainsi j’existerais, au moins moi aussi j’entrerais dans toutes les cathédrales qui me feraient envie.
Et c’est ainsi que je suis devenue Clopine Trouillefou, n’en déplaise à quiconque, et que Clopine je suis.
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Plan d'architecture de la Cathédrale Notre-Dame de Paris, Située sur l'ile de la cité, elle l'une des plus célèbre cathédrale du pays avec celle de Reims. Elle figure au centre du roman de Vi...
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