Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
  le blog proustpourtous

Les réflexions d'une proustienne sur sa vie, et en quoi elle lui rappelle dans des épisodes du quotidien des passages de "A la recherche du temps perdu"

Réflexion féminine sur la philosophie, l'abstraction et le goût du narrateur pour l'intelligence

Publié le 25 Février 2018 par proust pour tous

 

SPINOZA

J'ai toujours pensé que les femmes (statistiquement parlant) étaient plus attirées par la littérature que le philosophie à l'inverse des hommes (sans doute parce que je suis une femme et que je ne comprends pas la philosophie), et ayant pris chez Jules un livre qui ne m'emballa pas, que je trouvai confus, mais que je continuai à lire, à la poursuite inconsciente de la perle que j'espérais, et que je trouvai, un début d'explication à mon intuition:

"... à rebours du prédicateur, le philosophe ne se destine pas à orienter ses semblables dans la vie. Il travaille, c'est différent, à modifier les manières de penser. Autrement dit, l'un des principes les plus fondamentaux de la philosophie est celui de L'ABSTRACTION. Si l'on ne fait pas l'effort de réfléchir dans un repère clairement (donc abstraitement) défini, si l'on sort de ce repère de validité chaque fois qu'apparait la possibilité d'un embranchement existentiel, il devient impossible d'utiliser la Raison. Même "pratique", la Raison ne peut pas, ne doit pas embrasser les problèmes de l'existence tels qu'ils nous arrivent, parce que l'inextricable épaisseur de l'expérience humaine en rend les paramètres trop imprécis. Spinoza résume cette difficulté par ces mots:

"Prétendre pouvoir tirer de l'observation de la suite des choses l'ordre des causes qu'il est nécessaire de concevoir est une entreprise désespérée."

La philosophie ne peut pas être sans cesse hantée par les soucis qui se posent dans la vie. Le témoignage de la conscience emporte avec lui trop de convictions d'origine incertaine, non dites, inexpliquées. Pour que la philosophie traverse et modifie nos conceptions, il faut accepter de rompre avec l'apparent concret du vécu, se rendre capable de penser à rebours de tout ce que l'on a jamais pensé. Penser contre sa propre expérience, contre ses propres convictions, c'est d'ailleurs l'une des choses que l'abstraction rend plus facile.... [...] C'est pour cela que, malgré ses longues années d'étude et son habileté conceptuelle, le philosophe n'est pas un savant. Il ne découvre la vérité qu'à chaque fois qu'il trébuche." Le clan Spinoza, Maxime Rovere, Flammarion, 2017, p.303

Les femmes seraient-elles trop immergées dans l'existence pour se consacrer à ce qui me parait des élucubrations qui ne mènent nulle part (toujours mieux que d'avaler des croyances sans broncher) ? Utilisent-elles leur intelligence plus intuitive et émotionnelle, et non pas abstraite (intelligence considérée pendant longtemps comme la seule respectable), pour saisir et comprendre le monde ? 

 

Comme Bergotte habitait dans le même quartier que mes parents, nous partîmes ensemble ; en voiture il me parla de ma santé : « Nos amis m'ont dit que vous étiez souffrant. Je vous plains beaucoup. Et puis malgré cela je ne vous plains pas trop, parce que je vois bien que vous devez avoir les plaisirs de l'intelligence et c'est probablement ce qui compte surtout pour vous, comme pour ceux qui les connaissent. »

Hélas ! ce qu'il disait là, combien je sentais que c'était peu vrai pour moi que tout raisonnement, si élevé qu'il fût, laissait froid, qui n'étais heureux que dans des moments de simple flânerie, quand j'éprouvais du bien-être ; je sentais combien ce que je désirais dans la vie était purement matériel, et avec quelle facilité je me serais passé de l'intelligence. Comme je ne distinguais pas entre les plaisirs ceux qui me venaient de sources différentes, plus ou moins profondes et durables, je pensai, au moment de lui répondre, que j'aurais aimé une existence où j'aurais été lié avec la duchesse de Guermantes, et où j'aurais souvent senti comme dans l'ancien bureau d'octroi des Champs-Élysées une fraîcheur qui m'eût rappelé Combray. Or, dans cet idéal de vie que je n'osais lui confier, les plaisirs de l'intelligence ne tenaient aucune place.

– Non, Monsieur, les plaisirs de l'intelligence sont bien peu de chose pour moi, ce n'est pas eux que je recherche, je ne sais même pas si je les ai jamais goûtés.

– Vous croyez vraiment ? me répondit-il. Eh bien, écoutez, si, tout de même, cela doit être cela que vous aimez le mieux, moi, je me le figure, voilà ce que je crois. A l'ombre des jeunes filles en fleurs

Commenter cet article