Ricardo Lopez-Cabrera (1890)
Patrice Louis, le fou de Proust a fait un rapport de la journée d'hier à Illiers-Combray, une journée pleine de proustiens: on a pu parler sans retenue de ce qui nous hante! C'est étrange mais de toute cette ballade, ce qui m'a le plus rappelé La Recherche, c'était notre arrivée dans le train régional, à la gare d'Illiers Combray: une petite troupe de 5 personnes, érudits de diverses origines, nous nous serions crus dans le petit train nous emmenant à La Raspelière, où Mme Verdurin nous aurait envoyé une voiture, pour participer à un de ses célèbres mercredis!
Arrivés en avance avec Cottard et Brichot à la gare de Graincourt, ils avaient laissé Brichot dans la salle d'attente et étaient allés faire un tour. Quand Cottard avait voulu revenir, Ski avait répondu : « Mais rien ne presse. Aujourd'hui ce n'est pas le train local, c'est le train départemental ». Ravi de voir l'effet que cette nuance dans la précision produisait sur Cottard, il ajouta, parlant de lui-même : « Oui, parce que Ski aime les arts, parce qu'il modèle la glaise, on croit qu'il n'est pas pratique. Personne ne connaît la ligne mieux que moi ». Néanmoins ils étaient revenus vers la gare, quand tout d'un coup, apercevant la fumée du petit train qui arrivait, Cottard, poussant un hurlement, avait crié : « Nous n'avons qu'à prendre nos jambes à notre cou. » Ils étaient en effet arrivés juste, la distinction entre le train local et départemental n'ayant jamais existé que dans l'esprit de Ski. « Mais est-ce que la princesse n'est pas dans le train ? » demanda d'une voix vibrante Brichot, dont les lunettes énormes, resplendissantes comme ces réflecteurs que les laryngologues s'attachent au front pour éclairer la gorge de leurs malades, semblaient avoir emprunté leur vie aux yeux du professeur, et, peut-être à cause de l'effort qu'il faisait pour accommoder sa vision avec elles, semblaient, même dans les moments les plus insignifiants, regarder elles-mêmes avec une attention soutenue et une fixité extraordinaire. D'ailleurs la maladie, en retirant peu à peu la vue à Brichot, lui avait révélé les beautés de ce sens, comme il faut souvent que nous nous décidions à nous séparer d'un objet, à en faire cadeau par exemple, pour le regarder, le regretter, l'admirer. « Non, non, la princesse a été reconduire jusqu'à Maineville des invités de Mme Verdurin qui prenaient le train de Paris. Il ne serait même pas impossible que Mme Verdurin, qui avait affaire à Saint-Mars, fût avec elle ! Comme cela elle voyagerait avec nous et nous ferions route tous ensemble, ce serait charmant. Il s'agira d'ouvrir l'oeil à Maineville, et le bon ! Ah ! ça ne fait rien, on peut dire que nous avons bien failli manquer le coche. Quand j'ai vu le train j'ai été sidéré. C'est ce qui s'appelle arriver au moment psychologique. Voyez-vous ça que nous ayions manqué le train ? Mme Verdurin s'apercevant que les voitures revenaient sans nous ? Tableau ! ajouta le docteur qui n'était pas encore remis de son émoi. Voilà une équipée qui n'est pas banale. Dites donc, Brichot, qu'est-ce que vous dites de notre petite escapade ? demanda le docteur avec une certaine fierté. – Par ma foi, répondit Brichot, en effet, si vous n'aviez plus trouvé le train, c'eût été, comme eût parlé feu Villemain, un sale coup pour la fanfare ! » Mais moi, distrait dès les premiers instants par ces gens que je ne connaissais pas, je me rappelai tout d'un coup ce que Cottard m'avait dit dans la salle de danse du petit Casino, et, comme si un chaînon invisible eût pu relier un organe et les images du souvenir, celle d'Albertine appuyant ses seins contre ceux d'Andrée me faisait un mal terrible au coeur. Ce mal ne dura pas : l'idée de relations possibles entre Albertine et des femmes ne me semblait plus possible depuis l'avant-veille, où les avances que mon amie avait faites à Saint-Loup avaient excité en moi une nouvelle jalousie qui m'avait fait oublier la première. J'avais la naïveté des gens qui croient qu'un goût en exclut forcément un autre. À Harambouville, comme le tram était bondé, un fermier en blouse bleue, qui n'avait qu'un billet de troisième, monta dans notre compartiment. Le docteur, trouvant qu'on ne pourrait pas laisser voyager la princesse avec lui, appela un employé, exhiba sa carte de médecin d'une grande compagnie de chemin de fer et força le chef de gare à faire descendre le fermier. Cette scène peina et alarma à un tel point la timidité de Saniette que, dès qu'il la vit commencer, craignant déjà, à cause de la quantité de paysans qui étaient sur le quai, qu'elle ne prît les proportions d'une jacquerie, il feignit d'avoir mal au ventre, et pour qu'on ne pût l'accuser d'avoir sa part de responsabilité dans la violence du docteur, il enfila le couloir en feignant de chercher ce que Cottard appelait les « water ». N'en trouvant pas, il regarda le paysage de l'autre extrémité du tortillard. « Si ce sont vos débuts chez Mme Verdurin, Monsieur, me dit Brichot, qui tenait à montrer ses talents à un « nouveau », vous verrez qu'il n'y a pas de milieu où l'on sente mieux la « douceur de vivre », comme disait un des inventeurs du dilettantisme, du je m'enfichisme, de beaucoup de mots en « isme » à la mode chez nos snobinettes, je veux dire M. le prince de Talleyrand. » Car, quand il parlait de ces grands seigneurs du passé, il trouvait spirituel, et « couleur de l'époque » de faire précéder leur titre de Monsieur et disait Monsieur le duc de La Rochefoucauld, Monsieur le cardinal de Retz, qu'il appelait aussi de temps en temps : « Ce struggle for lifer de Gondi, ce « boulangiste » de Marsillac. » Et il ne manquait jamais, avec un sourire, d'appeler Montesquieu, quand il parlait de lui : « Monsieur le Président Secondat de Montesquieu. » Un homme du monde spirituel eût été agacé de ce pédantisme, qui sent l'école. Mais, dans les parfaites manières de l'homme du monde, en parlant d'un prince, il y a un pédantisme aussi qui trahit une autre caste, celle où l'on fait précéder le nom Guillaume de « l'Empereur » et où l'on parle à la troisième personne à une Altesse. « Ah ! celui-là, reprit Brichot, en parlant de « Monsieur le prince de Talleyrand », il faut le saluer chapeau bas. C'est un ancêtre. – C'est un milieu charmant, me dit Cottard, vous trouverez un peu de tout, car Mme Verdurin n'est pas exclusive : des savants illustres comme Brichot de la haute noblesse comme, par exemple, la princesse Sherbatoff, une grande dame russe, amie de la grande-duchesse Eudoxie qui même la voit seule aux heures où personne n'est admis. » En effet, la grande-duchesse Eudoxie, ne se souciant pas que la princesse Sherbatoff, qui depuis longtemps n'était plus reçue par personne, vînt chez elle quand elle eût pu y avoir du monde, ne la laissait venir que de très bonne heure, quand l'Altesse n'avait auprès d'elle aucun des amis à qui il eût été aussi désagréable de rencontrer la princesse que cela eût été gênant pour celle-ci. Comme depuis trois ans, aussitôt après avoir quitté, comme une manucure, la grande-duchesse, Mme Sherbatoff partait chez Mme Verdurin, qui venait seulement de s'éveiller, et ne la quittait plus, on peut dire que la fidélité de la princesse passait infiniment celle même de Brichot, si assidu pourtant à ces mercredis, où il avait le plaisir de se croire, à Paris, une sorte de Chateaubriand à l'Abbaye-aux-Bois et où, à la campagne, il se faisait l'effet de devenir l'équivalent de ce que pouvait être chez Mme du Châtelet celui qu'il nommait toujours (avec une malice et une satisfaction de lettré) : « M. de Voltaire. » Sodome et Gomorrhe
Patrice Louis, le fou de Proust has reported on the exciting day that I spent Saturday, in Illiers Combray, surounded by tens of Proustians, which meant that we could all speak about our obsession without fear of anybody complaining, and that was in itself such a feat! but where I really felt I was in In Search of Lost Time, was in the local train bringing five of us, all more or less experts and I could identify among them Brichot, Cottard and the princess Sherbatoff. I was Mme Verdurin receiving for one of her Wednesdays.