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  le blog proustpourtous

Les réflexions d'une proustienne sur sa vie, et en quoi elle lui rappelle dans des épisodes du quotidien des passages de "A la recherche du temps perdu"

Sur Victor Hugo; about Victor Hugo

Publié le 10 Avril 2014 par proust pour tous

Sur Victor Hugo; about Victor Hugo

En cherchant des textes à lire à Clansayes, samedi (en parallèle à des textes de Marguerite Duras, oui Madame), je suis tombée sur cet extrait qui me rappelle qu'il faut 1/ écouter les autres 2/ se précipiter sur les ouvrages dont on nous a parlé (enfin, certains ouvrages)

Ce que m'avait dit Mme de Guermantes sur les tableaux qui seraient intéressants à voir, même d'un tramway, était faux, mais contenait une part de vérité qui me fut précieuse dans la suite. De même les vers de Victor Hugo qu'elle m'avait cités étaient, il faut l'avouer, d'une époque antérieure à celle où il est devenu plus qu'un homme nouveau, où il a fait apparaître dans l'évolution une espèce littéraire encore inconnue, douée d'organes plus complexes. Dans ces premiers poèmes, Victor Hugo pense encore, au lieu de se contenter, comme la nature, de donner à penser. Des « pensées », il en exprimait alors sous la forme la plus directe, presque dans le sens où le duc prenait le mot, quand, trouvant vieux jeu et encombrant que les invités de ses grandes fêtes, à Guermantes, fissent, sur l'album du château, suivre leur signature d'une réflexion philosophico-poétique, il avertissait les nouveaux venus d'un ton suppliant : « Votre nom, mon cher, mais pas de pensée ! » Or, c'étaient ces « pensées » de Victor Hugo (presque aussi absentes de la Légende des Siècles que les « airs », les « mélodies » dans la deuxième manière wagnérienne) que Mme de Guermantes aimait dans le premier Hugo. Mais pas absolument à tort. Elles étaient touchantes, et déjà autour d'elles, sans que la forme eût encore la profondeur où elle ne devait parvenir que plus tard, le déferlement des mots nombreux et des rimes richement articulées les rendait inassimilables à ces vers qu'on peut découvrir dans un Corneille, par exemple, et où un romantisme intermittent, contenu, et qui nous émeut d'autant plus, n'a point pourtant pénétré jusqu'aux sources physiques de la vie, modifié l'organisme inconscient et généralisable où s'abrite l'idée. Aussi avais-je eu tort de me confiner jusqu'ici dans les derniers recueils d'Hugo. Des premiers, certes, c'était seulement d'une part infime que s'ornait la conversation de Mme de Guermantes. Mais justement, en citant ainsi un vers isolé on décuple sa puissance attractive. Ceux qui étaient entrés ou rentrés dans ma mémoire, au cours de ce dîner, aimantaient à leur tour, appelaient à eux avec une telle force les pièces au milieu desquelles ils avaient l'habitude d'être enclavés, que mes mains électrisées ne purent pas résister plus de quarante-huit heures à la force qui les conduisait vers le volume où étaient reliés les Orientales et les Chants du Crépuscule. Je maudis le valet de pied de Françoise d'avoir fait don à son pays natal de mon exemplaire des Feuilles d'Automne, et je l'envoyai sans perdre un instant en acheter un autre. Je relus ces volumes d'un bout à l'autre, et ne retrouvai la paix que quand j'aperçus tout d'un coup, m'attendant dans la lumière où elle les avait baignés, les vers que m'avait cités Mme de Guermantes. Le côté de Guermantes

As I was looking for texts that I will read Saturday in Clansayes, I bumped into that one on Victor Hugo described by the duchess of Guermantes. It reminded me 1/ to attentively listen to people 2/ read something of the works they quote (at least some of the works).

What Mme. de Guermantes had said to me about the pictures which it would be interesting to see, even from a tramway-car, was untrue, but it contained a germ of truth which was of value to me later on. Similarly the lines of Victor Hugo which I had heard her quote were, it must be admitted, of a period earlier than that in which he became something more than a new man, in which he brought to light, in the order of evolution, a literary species till then unknown, endowed with more complex organs than any then in existence. In these first poems, Victor Hugo is still a thinker, instead of contenting himself, like Nature, with supplying food for thought. His ‘thoughts’ he at that time expressed in the most direct form, almost in the sense in which the Duke employed the word when, feeling it to be out of date and a nuisance that the guests at his big parties at Guermantes should, in the visitors’ book, append to their signatures a philosophico-poetical reflexion, he used to warn novices in an appealing tone: “Your name, my dear fellow, but no ‘thoughts’ please!” Well, it was these ‘thoughts’ of Victor Hugo (almost as entirely absent from the Légende des Siècles as ‘airs,’ as ‘melodies’ are from Wagner’s later manner) that Mme. de Guermantes admired in the early Hugo. Nor was she altogether wrong. They were touching, and already round about them, without their form’s having yet the depth which it was to acquire only in later years, the rolling tide of words and of richly articulated rhymes put them beyond comparison with the lines that one might discover in a Corneille, for example, lines in which a Romanticism that is intermittent, restrained and so all the more moving, nevertheless has not at all penetrated to the physical sources of life, modified the unconscious and generalisable organism in which the idea is latent. And so I had been wrong in confining myself, hitherto, to the later volumes of Hugo. Of the earlier, of course, it was only a fractional part that Mme. de Guermantes used to embellish her conversation. But simply by quoting in this way an isolated line one multiplies its power of attraction tenfold. The lines that had entered or returned to my mind during this dinner magnetised in turn, summoned to themselves with such force the poems in the heart of which they were normally embedded, that my magnetised hands could not hold out for longer than forty-eight hours against the force that drew them towards the volume in which were bound up the Orientales and the Chants du Crépuscule. I cursed Franchise’s footman for having made a present to his native village of my copy of the Feuilles d’Automne, and sent him off, with not a moment to be lost, to procure me another. I read these volumes from cover to cover and found peace of mind only when I suddenly came across, awaiting me in the light in which she had bathed them, the lines that I had heard Mme de Guermantes quote. The Guermantes Way
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