Samedi j'ai passé une grande partie de la journée à la Maison de la Presse, rue Houdan à Sceaux. J'y signais mon bouquin Les sept leçons de Marcel Proust, en servant mes fameuses madeleines (fameuses parce que tout le monde est surpris que j'en offre), et j'ai rencontré un public nombreux et souvent passionnant, surprenant.
Ainsi, Isabelle, une très belle femme d'une cinquantaine d'années, qui me demanda si j'étais la fille de Gaston Grenier, qui avait été le dentiste de sa famille, surtout de sa mère Maguy: "Alors, vous êtes Zizi? votre père vous adorait." Elle évoqua avec émotion la générosité, droiture (et ponctualité) de mon père disparu depuis 2 ans, son originalité, son amour des citations; elle savait tout de ma vie, sauf que c'était ce Gaston qui m'avait fait découvrir Proust. Et quand je lui citai l'immense cadeau que mon père avait fait à ses enfants, peu de temps avant de mourir, lorsque ma soeur ouvrant la fenêtre de la chambre où il était à l'agonie, il dit à demi soulevé sur sa couche mortuaire: "Soleil, je te viens voir pour la dernière fois" (Phèdre). Isabelle (et moi) éclata en sanglot.
Bouleversement de toute ma personne. Dès la première nuit, comme je souffrais d’une crise de fatigue cardiaque, tâchant de dompter ma souffrance, je me baissai avec lenteur et prudence pour me déchausser. Mais à peine eus-je touché le premier bouton de ma bottine, ma poitrine s’enfla, remplie d’une présence inconnue, divine, des sanglots me secouèrent, des larmes ruisselèrent de mes yeux. L’être qui venait à mon secours, qui me sauvait de la sécheresse de l’âme, c’était celui qui, plusieurs années auparavant, dans un moment de détresse et de solitude identiques, dans un moment où je n’avais plus rien de moi, était entré, et qui m’avait rendu à moi-même, car il était moi et plus que moi (le contenant qui est plus que le contenu et me l’apportait). Je venais d’apercevoir, dans ma mémoire, penché sur ma fatigue, le visage tendre, préoccupé et déçu de ma grand’mère, telle qu’elle avait été ce premier soir d’arrivée, le visage de ma grand’mère, non pas de celle que je m’étais étonné et reproché de si peu regretter et qui n’avait d’elle que le nom, mais de ma grand’mère véritable dont, pour la première fois depuis les Champs–Elysées où elle avait eu son attaque, je retrouvais dans un souvenir involontaire et complet la réalité vivante. Cette réalité n’existe pas pour nous tant qu’elle n’a pas été recréée par notre pensée (sans cela les hommes qui ont été mêlés à un combat gigantesque seraient tous de grands poètes épiques); et ainsi, dans un désir fou de me précipiter dans ses bras, ce n’était qu’à l’instant — plus d’une année après son enterrement, à cause de cet anachronisme qui empêche si souvent le calendrier des faits de coïncider avec celui des sentiments — que je venais d’apprendre qu’elle était morte. Sodome et Gomorrhe, II,I
Last Saturday I spent most of my day at the Maison de la presse, in Sceaux, for the signature of my book The Seven Lessons of Marcel Proust,while offering my famous madeleines. There I met a numerous public, often captivating and surprising.
Among them, Isabelle, a beautiful woman in her fifties, who asked me if I were the daughter of Gaston Grenier, her family's dentist, above all of her mother Maguy: "So, you are Zizi? your father adored you." She then reminded me of my father's - gone for two years - generosity, honesty (and ponctuality), his love for literaty quotations; she knew everything of my life, but the fact that Gaston had been the one who made me read Proust. And when I told her of the wonderful gift made by my father to his children just before his death, when, as my sister opened the window of his bedroom, half straight on his agony's bed, he declamed like Racine's Phèdre: "Sun, for the last time I come to salute you.", Isabelle (and I) burst into tears.