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  le blog proustpourtous

Les réflexions d'une proustienne sur sa vie, et en quoi elle lui rappelle dans des épisodes du quotidien des passages de "A la recherche du temps perdu"

Une lettre anonyme; an anomynous letter

Publié le 24 Novembre 2013 par proust pour tous

Hier après-midi, lors de la signature de mon livre chez Pippa, 25 rue du Sommerard, il n'y avait pas foule, mais elle était de qualité; j'ai même convaincu un jeune père de famille sortant du square avec ses deux enfants, qui est ressorti de la librairie, lui qui s'avouait s'endormir à chaque fois qu'il essayait de lire un livre, avec le passeport pour Proust "Les sept leçons....". Il avait l'air ravi, ses enfants s'étaient bien tenus, grâce à quelques peluches stratégiquement placées par Brigitte, la patronne, dans la charmante galerie de peintures sous le magasin, et où j'officiais.Un pasteur suisse de retour de Chartres me décrit avec enthousiasme le labyrinthe tracé sur le sol de la cathédrale et l'usage qu'en fait une prédicatrice américaine qui rallie des hordes de compatriotes, autour de sa passion pour les dédales spirituels (j'ai ainsi appris que le but de ces inscriptions est de suivre le chemin ardu qui mène à dieu, au centre de cet enchevêtrement...)

Daisy, membre "des amis d'Albert Camus" s'entretint avec Isabelle qui venait d'une magnifique lecture d'extraits de "la peste" par Marc Roger de la Voie des livres

Enfin Isabelle, une vraie proustienne, infectée par le virus depuis quelques années, mais qui, elle, se soigne, m'a recommandé un de ses (nombreux) textes favoris, que je soumets ici: une lettre reçue par Swann:

Un jour il reçut une lettre anonyme, qui lui disait qu’Odette avait été la maîtresse d’innombrables hommes (dont on lui citait quelques-uns parmi lesquels Forcheville, M. de Bréauté et le peintre), de femmes, et qu’elle fréquentait les maisons de passe. Il fut tourmenté de penser qu’il y avait parmi ses amis un être capable de lui avoir adressé cette lettre (car par certains détails elle révélait chez celui qui l’avait écrite une connaissance familière de la vie de Swann). Il chercha qui cela pouvait être. Mais il n’avait jamais eu aucun soupçon des actions inconnues des êtres, de celles qui sont sans liens visibles avec leurs propos. Et quand il voulut savoir si c’était plutôt sous le caractère apparent de M. de Charlus, de M. des Laumes, de M. d’Orsan, qu’il devait situer la région inconnue où cet acte ignoble avait dû naître, comme aucun de ces hommes n’avait jamais approuvé devant lui les lettres anonymes et que tout ce qu’ils lui avaient dit impliquait qu’ils les réprouvaient, il ne vit pas de raisons pour relier cette infamie plutôt à la nature de l’un que de l’autre. Celle de M. de Charlus était un peu d’un détraqué mais foncièrement bonne et tendre; celle de M. des Laumes un peu sèche mais saine et droite. Quant à M. d’Orsan, Swann, n’avait jamais rencontré personne qui dans les circonstances même les plus tristes vînt à lui avec une parole plus sentie, un geste plus discret et plus juste. C’était au point qu’il ne pouvait comprendre le rôle peu délicat qu’on prêtait à M. d’Orsan dans la liaison qu’il avait avec une femme riche, et que chaque fois que Swann pensait à lui il était obligé de laisser de côté cette mauvaise réputation inconciliable avec tant de témoignages certains de délicatesse. Un instant Swann sentit que son esprit s’obscurcissait et il pensa à autre chose pour retrouver un peu de lumière. Puis il eut le courage de revenir vers ces réflexions. Mais alors après n’avoir pu soupçonner personne, il lui fallut soupçonner tout le monde. Après tout M. de Charlus l’aimait, avait bon cœur. Mais c’était un névropathe, peut-être demain pleurerait-il de le savoir malade, et aujourd’hui par jalousie, par colère, sur quelque idée subite qui s’était emparée de lui, avait-il désiré lui faire du mal. Au fond, cette race d’hommes est la pire de toutes. Certes, le prince des Laumes était bien loin d’aimer Swann autant que M. de Charlus. Mais à cause de cela même il n’avait pas avec lui les mêmes susceptibilités; et puis c’était une nature froide sans doute, mais aussi incapable de vilenies que de grandes actions. Swann se repentait de ne s’être pas attaché, dans la vie, qu’à de tels êtres. Puis il songeait que ce qui empêche les hommes de faire du mal à leur prochain, c’est la bonté, qu’il ne pouvait au fond répondre que de natures analogues à la sienne, comme était, à l’égard du cœur, celle de M. de Charlus. La seule pensée de faire cette peine à Swann eût révolté celui-ci. Mais avec un homme insensible, d’une autre humanité, comme était le prince des Laumes, comment prévoir à quels actes pouvaient le conduire des mobiles d’une essence différente. Avoir du cœur c’est tout, et M. de Charlus en avait. M. d’Orsan n’en manquait pas non plus et ses relations cordiales mais peu intimes avec Swann, nées de l’agrément que, pensant de même sur tout, ils avaient à causer ensemble, étaient de plus de repos que l’affection exaltée de M. de Charlus, capable de se porter à des actes de passion, bons ou mauvais. S’il y avait quelqu’un par qui Swann s’était toujours senti compris et délicatement aimé, c’était par M. d’Orsan. Oui, mais cette vie peu honorable qu’il menait? Swann regrettait de n’en avoir pas tenu compte, d’avoir souvent avoué en plaisantant qu’il n’avait jamais éprouvé si vivement des sentiments de sympathie et d’estime que dans la société d’une canaille. Ce n’est pas pour rien, se disait-il maintenant, que depuis que les hommes jugent leur prochain, c’est sur ses actes. Il n’y a que cela qui signifie quelque chose, et nullement ce que nous disons, ce que nous pensons. Charlus et des Laumes peuvent avoir tels ou tels défauts, ce sont d’honnêtes gens. Orsan n’en a peut-être pas, mais ce n’est pas un honnête homme. Il a pu mal agir une fois de plus. Puis Swann soupçonna Rémi, qui il est vrai n’aurait pu qu’inspirer la lettre, mais cette piste lui parut un instant la bonne. D’abord Lorédan avait des raisons d’en vouloir à Odette. Et puis comment ne pas supposer que nos domestiques, vivant dans une situation inférieure à la nôtre, ajoutant à notre fortune et à nos défauts des richesses et des vices imaginaires pour lesquels ils nous envient et nous méprisent, se trouveront fatalement amenés à agir autrement que des gens de notre monde. Il soupçonna aussi mon grand-père. Chaque fois que Swann lui avait demandé un service, ne le lui avait-il pas toujours refusé? puis avec ses idées bourgeoises il avait pu croire agir pour le bien de Swann. Celui-ci soupçonna encore Bergotte, le peintre, les Verdurin, admira une fois de plus au passage la sagesse des gens du monde de ne pas vouloir frayer avec ces milieux artistes où de telles choses sont possibles, peut-être même avouées sous le nom de bonnes farces; mais il se rappelait des traits de droiture de ces bohèmes, et les rapprocha de la vie d’expédients, presque d’escroqueries, où le manque d’argent, le besoin de luxe, la corruption des plaisirs conduisent souvent l’aristocratie. Bref cette lettre anonyme prouvait qu’il connaissait un être capable de scélératesse, mais il ne voyait pas plus de raison pour que cette scélératesse fût cachée dans le tuf — inexploré d’autrui — du caractère de l’homme tendre que de l’homme froid, de l’artiste que du bourgeois, du grand seigneur que du valet. Quel critérium adopter pour juger les hommes? au fond il n’y avait pas une seule des personnes qu’il connaissait qui ne pût être capable d’une infamie. Fallait-il cesser de les voir toutes? Son esprit se voila; il passa deux ou trois fois ses mains sur son front, essuya les verres de son lorgnon avec son mouchoir, et, songeant qu’après tout, des gens qui le valaient fréquentaient M. de Charlus, le prince des Laumes, et les autres, il se dit que cela signifiait sinon qu’ils fussent incapables d’infamie, du moins, que c’est une nécessité de la vie à laquelle chacun se soumet de fréquenter des gens qui n’en sont peut-être pas incapables. Et il continua à serrer la main à tous ces amis qu’il avait soupçonnés, avec cette réserve de pur style qu’ils avaient peut-être cherché à le désespérer. Du côté de chez Swann, Un amour de Swann

Yesterday, during a signature of my book at Pippa, 25 rue du Sommerard, next to the Cluny museum, the crowd was thin but of quality: I even convinced a young father with his two well-behaved children (who played with stuffed animals strategically located in the very attractive art gallery at the bookstore's lower level), to try to enter Proust' masterpiece with the right passport "The Seven Lessons of Marcel Proust" A Swiss minister, coming from Chartres, and describing an American woman whose specialty was spiritual labyrinths, and who is hording a lot of her countrymen in that beautiful town, gave me the desire to revisit the cathedral with a guide explaining a lot on this dedalus.

Daisy, a member of "Albert Camus' friends", debated with Isabelle who had just attended a brilliant reading of "La peste" by a professional reader, Marc Roger of La Voie des Livres

That Isabelle, a genuine Proustian, infected by the virus but who tries to improve, finally recommended me to read one of a numerous favorite extrats: the anonymous letter that Swann received:

One day he received an anonymous letter which told him that Odette had been the mistress of countless men (several of whom it named, among them Forcheville, M. de Bréauté and the painter) and women, and that she frequented houses of ill-fame. He was tormented by the discovery that there was to be numbered among his friends a creature capable of sending him such a letter (for certain details betrayed in the writer a familiarity with his private life). He wondered who it could be. But he had never had any suspicion with regard to the unknown actions of other people, those which had no visible connection with what they said. And when he wanted to know whether it was rather beneath the apparent character of M. de Charlus, or of M. des Laumes, or of M. d’Orsan that he must place the untravelled region in which this ignoble action might have had its birth; as none of these men had ever, in conversation with Swann, suggested that he approved of anonymous letters, and as everything that they had ever said to him implied that they strongly disapproved, he saw no further reason for associating this infamy with the character of any one of them more than with the rest. M. de Charlus was somewhat inclined to eccentricity, but he was fundamentally good and kind; M. des Laumes was a trifle dry, but wholesome and straight. As for M. d’Orsan, Swann had never met anyone who, even in the most depressing circumstances, would come to him with a more heartfelt utterance, would act more properly or with more discretion. So much so that he was unable to understand the rather indelicate part commonly attributed to M. d’Orsan in his relations with a certain wealthy woman, and that whenever he thought of him he was obliged to set that evil reputation on one side, as irreconcilable with so many unmistakable proofs of his genuine sincerity and refinement. For a moment Swann felt that his mind was becoming clouded, and he thought of something else so as to recover a little light; until he had the courage to return to those other reflections. But then, after not having been able to suspect anyone, he was forced to suspect everyone that he knew. After all, M. de Charlus might be most fond of him, might be most good-natured; but he was a neuropath; to-morrow, perhaps, he would burst into tears on hearing that Swann was ill; and to-day, from jealousy, or in anger, or carried away by some sudden idea, he might have wished to do him a deliberate injury. Really, that kind of man was the worst of all. The Prince des Laumes was, certainly, far less devoted to Swann than was M. de Charlus. But for that very reason he had not the same susceptibility with regard to him; and besides, his was a nature which, though, no doubt, it was cold, was as incapable of a base as of a magnanimous action. Swann regretted that he had formed no attachments in his life except to such people. Then he reflected that what prevents men from doing harm to their neighbours is fellow-feeling, that he could not, in the last resort, answer for any but men whose natures were analogous to his own, as was, so far as the heart went, that of M. de Charlus. The mere thought of causing Swann so much distress would have been revolting to him. But with a man who was insensible, of another order of humanity, as was the Prince des Laumes, how was one to foresee the actions to which he might be led by the promptings of a different nature? To have a good heart was everything, and M. de Charlus had one. But M. d’Orsan was not lacking in that either, and his relations with Swann — cordial, but scarcely intimate, arising from the pleasure which, as they held the same views about everything, they found in talking together — were more quiescent than the enthusiastic affection of M. de Charlus, who was apt to be led into passionate activity, good or evil. If there was anyone by whom Swann felt that he had always been understood, and (with delicacy) loved, it was M. d’Orsan. Yes, but the life he led; it could hardly be called honourable. Swann regretted that he had never taken any notice of those rumours, that he himself had admitted, jestingly, that he had never felt so keen a sense of sympathy, or of respect, as when he was in thoroughly ‘detrimental’ society. “It is not for nothing,” he now assured himself, “that when people pass judgment upon their neighbour, their finding is based upon his actions. It is those alone that are significant, and not at all what we say or what we think. Charlus and des Laumes may have this or that fault, but they are men of honour. Orsan, perhaps, has not the same faults, but he is not a man of honour. He may have acted dishonourably once again.” Then he suspected Rémi, who, it was true, could only have inspired the letter, but he now felt himself, for a moment, to be on the right track. To begin with, Loredan had his own reasons for wishing harm to Odette. And then, how were we not to suppose that our servants, living in a situation inferior to our own, adding to our fortunes and to our frailties imaginary riches and vices for which they at once envied and despised us, should not find themselves led by fate to act in a manner abhorrent to people of our own class? He also suspected my grandfather. On every occasion when Swann had asked him to do him any service, had he not invariably declined? Besides, with his ideas of middle-class respectability, he might have thought that he was acting for Swann’s good. He suspected, in turn, Bergotte, the painter, the Verdurins; paused for a moment to admire once again the wisdom of people in society, who refused to mix in the artistic circles in which such things were possible, were, perhaps, even openly avowed, as excellent jokes; but then he recalled the marks of honesty that were to be observed in those Bohemians, and contrasted them with the life of expedients, often bordering on fraudulence, to which the want of money, the craving for luxury, the corrupting influence of their pleasures often drove members of the aristocracy. In a word, this anonymous letter proved that he himself knew a human being capable of the most infamous conduct, but he could see no reason why that infamy should lurk in the depths — which no strange eye might explore — of the warm heart rather than the cold, the artist’s rather than the business-man’s, the noble’s rather than the flunkey’s. What criterion ought one to adopt, in order to judge one’s fellows? After all, there was not a single one of the people whom he knew who might not, in certain circumstances, prove capable of a shameful action. Must he then cease to see them all? His mind grew clouded; he passed his hands two or three times across his brow, wiped his glasses with his handkerchief, and remembering that, after all, men who were as good as himself frequented the society of M. de Charlus, the Prince des Laumes and the rest, he persuaded himself that this meant, if not that they were incapable of shameful actions, at least that it was a necessity in human life, to which everyone must submit, to frequent the society of people who were, perhaps, not incapable of such actions. And he continued to shake hands with all the friends whom he had suspected, with the purely formal reservation that each one of them had, possibly, been seeking to drive him to despair. Swann's Way, Swann's Love
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