Depuis que j'ai sorti mon bouquin Les sept leçons de Marcel Proust, je fais ce que je peux pour me faire connaître. Ma dernière tentative est de convaincre les libraires de mettre mon livre, de préférence en piles, de préférence près de la caisse, bien en évidence dans leur magasin.
Ayant déjà régalé le public venu m'écouter sous mon arbre ou ailleurs, d'innombrables madeleines (voir recette), et étant invitée par les charmants et compétents libraires de la librairie Gallimard bd Raspail, à une soirée "centenaire", je leur préparai une bassine de madeleines. Cette soirée était présidée par Jean-Yves Tadié, toujours grand seigneur, érudit modeste et animateur courtois, avec la participation du duo Enthoven, de Charles Méla de la fondation Martin Bodmer (qui publie le fac-similé des premières pages de la recherche...) Mon livre n'était pas à l'ordre du jour, et je n'en avais pas apporté, bien que la librairie en ait déjà vendu pas mal d'exemplaires. J'étais dans la salle, hésitant entre modestie et désir de me faire remarquer des lecteurs venus nombreux. Des vieux, des moins vieux, des femmes autant que d'hommes, des gens bien habillés du 7ème, des regards qui vous jaugent sans sourire, un public français, sans aucun doute. Coincée entre un escogriffe grisonnant et dur d'oreille (qui me fait répéter ce que les conférenciers disent), une montagne de livres, et une élégante aimable mais froide, j'arrive à engager la conversation avec elle: une dingue de Proust qui va tous les étés aux rencontres de Cabourg, et qui la veille avait été applaudir Raphaël Enthoven qui lisait des extraits de la Recherche salle Gaveau. Il était accompagné d'un pianiste et dans la salle se trouvaient Carla Bruni et Sarkozy! je me dis que la prochaine fois que je monte en scène j'invite mon ex mari et tous mes anciens amants, ça devrait vous remplir une salle. Débat intéressant et poli, quelques petites questions de détail, les Enthoven font bien leur duo, ils laissent à peine parler Tadié, on se croirait à la "Grande librairie". Et moi je me dis: vais-je poser une question? Je me lance: "je me présente comme une pharmacienne passionnée de Proust et qui essaie de comprendre pourquoi tant de gens n'arrivent pas à le lire: Tadié confirme que seul Du côté de chez Swann se vend bien, et à une remarque que je lui fais sur la phrase longue difficile pour beaucoup, il me parle de la phrase latine, que les jeunes n'étudient plus aujourd'hui. Je n'ose le contredire, insiste sur l'accueil que même les Américains font à Proust (histoire de placer que je viens de faire une conférence à Chicago). Les gens ont l'air intéressés, Raphaël Enthoven y va de sa petite interruption. Enfin le petit verre de l'amitié et mon tas de madeleines, les bouches se mettent à sourire, les langues se délient, les Enthoven s'en vont bien vite et je donne à Tadié mon questionnaire de proustien, en le menaçant de l'obligation qu'il aurait de démissionner en cas d'échec. Il rit à gorge déployée. Une vieille dame entendant que j'étais pharmacienne: "Ah c'est vous la pharmacienne qui déclamez Proust sous un arbre? j'ai vu votre nom dans le Figaro Littéraire (enfin quelqu'un m'a vue), et je voulais vous joindre mais ne j'ai pas internet": elle viendra si je lui écris. Elle a pour activité de lire à des centenaires mais son meilleur client est mort (de vieillesse?). La femme qui revenait de la salle Gaveau adore mes madeleines mais aimerait les manger avec du vin blanc, qu'elle n'ose demander car elle n'a rien acheté ce soir. Je me sers de mon influence pour qu'on la serve. D'autres m'entourent: ah, c'est vous la pharmacienne?... Oui j'ai écrit un livre... je n'en ai pas sur moi ce soir. Revenez bientôt, il sera en stock! LE CHEMIN SERA LONG VERS LE SUCCES.